
Le pitch : Le Dossier 137 est en apparence une affaire de plus pour Stéphanie, enquêtrice à l’IGPN, la police des polices. Une manifestation tendue, un jeune homme blessé par un tir de LBD, des circonstances à éclaircir pour établir une responsabilité… Mais un élément inattendu va troubler Stéphanie, pour qui le Dossier 137 devient autre chose qu’un simple numéro.
2 ans après avoir remporté sept oscars pour son film La Nuit du 12, Dominik Moll (Seules Les Bêtes, Lemming, Harry, Un Ami Qui Vous Veut du Bien…) avec un polar sec, frontal, et sacrément dérangeant. Avec Dossier 137, il nous entraîne dans les coulisses de l’IGPN, la fameuse « police des polices », au cœur d’une affaire inspirée de faits réels, autour d’un manifestant grièvement blessé lors d’un rassemblement de gilets jaunes.

Alors que l’histoire se passe trois ans après le Bataclan, le film de Dominik Moll cristallise une ambiance tendue et complexe, mêlant l’hostilité des gens envers la police et un climat explosif. L’enquête devient alors le révélateur d’un système malade, pris dans ses propres contradictions. Dossier 137 s’ouvre sur une mécanique d’émotions et de constats vastes, où se croisent défiance citoyenne, protection interne des forces de l’ordre et contrôle de l’image institutionnelle.
Dossier 137 fascine moins par son suspense que par ce qu’il dévoile. Le réalisateur franco-allemand pénètre dans les coulisses d’un monde opaque, régi par des règles tacites, des procédures, et une solidarité quasi indéfectible et pour le moins toxique entre forces de l’ordre. Le constat est glaçant : même animé de bonne volonté, un enquêteur se heurte à une administration qui protège avant tout son image. Le film dénonce ainsi le rôle presque vain de l’IGPN, coincée dans un serpent qui se mord la queue.

Moins palpitant qu’un film policier classique, le film trouve sa force dans l’engagement solitaire de son personnage principal, qui avance à contre-courant, portée par des convictions qui défaille au fur et à mesure que l’espoir d’aboutir s’amenuise. Dominik Moll avance en zone grise et c’est dans la forme que le film se révèle, entre défiance et méfiance partagée aussi bien par les policiers que par les civils qui témoignent. Le film évite ainsi un point de vue trop manichéen, malgré le constat d’une violence systémique et banalisée.
En tant que thriller, Dossier 137 ne cherche jamais vraiment la tension pure ni le frisson du suspense. Cette distance émotionnelle, presque clinique, pourrait frustrer celles et ceux qui attendaient une construction plus nerveuse ou un rythme plus haletant. Le parti pris est clair : privilégier l’analyse au spectacle, au risque de laisser certains spectateurs sur le bord de la route.

La mise en scène, sobre et sans effets de manche, opte pour la simplicité, laissant la place à la puissance de son propos : montage précis, récit à la ligne claire, ambiance froide et implacable de polar. Dominik Moll parvient même à donner une véritable chair à une accumulation de procès-verbaux, en interrogeant le rapport grippé et figé dans le temps des rouages de l’administration française. C’aurait pu être lourd et répétitif, mais porté par un personnage accrocheur, Dossier 137 parvient à équilibrer l’affaire au centre et des sous-intrigues annexes qui gravitent entre mépris de classe et violence. Le film avance comme une course d’obstacle, un marathon de patience et de ténacité dans un brouillard faisant parfois l’effet de mélasse. Et au bout, peut-être une résolution… ou pas.

Globalement, j’ai trouvé le film nécessaire et intéressant, même si j’aurai aimé voir une histoire similaire où la victime est une personne racisée. Certes, la question du racisme et du délit de faciès est mentionné, mais camouflé par le contexte précis des manifestations de 2018, là où la violence policière est bien trop répondue et régulière. En refusant les raccourcis faciles, Dominik Moll signe un thriller froid, politique et profondément dérangeant, qui interroge frontalement notre rapport à l’autorité, à la procédure et à la justice. Un film passionnant, aussi glaçant qu’indispensable.

Au casting, c’est la formidable Léa Drucker (Sous Contrôle, Le Mélange des Genres, L’Été Dernier…) qui porte le film grâce à une performance authentique, maîtrisée, traduisant parfaitement le déchirement intérieur du personnage entre son envie de justice, la confrontation avec les autres et le respect de la profession. Autour d’elle, on retrouve quelques visages plus ou moins connus, comme Jonathan Turnbull (Paris Has Fallen, 37 Secondes…), Andrea Buresi (Le Système Victoria, Diamant Brut…), Florence Viala (Une Pointe d’Amour, Une Jeune Fille Qui Va Bien…), Théo Navarro-Mussy (Un Homme en Fuite, Un Métier Sérieux…) et Stanislas Merhar (Badh, Fanon…), tandis que l’histoire tourne autour du personnage incarné par Côme Peronnet (Le Remplaçant…).
En conclusion, Dominik Moll signe un polar froid, plus politisé que thriller, qui préfère l’inconfort de la vérité au confort du spectacle. Dossier 137 est un film nécessaire, courageux (je doute qu’il fasse plaisir à la police) et lucide. À voir.

