Drame

[CRITIQUE] Une Jeune Fille Qui Va Bien, de Sandrine Kiberlain

Le pitch : Irène, jeune fille juive, vit l’élan de ses 19 ans à Paris, l’été 1942. Sa famille la regarde découvrir le monde, ses amitiés, son nouvel amour, sa passion du théâtre… Irène veut devenir actrice et ses journées s’enchaînent dans l’insouciance de sa jeunesse.

Pour son premier film, l’actrice Sandrine Kiberlain écrit, réalise et s’efface pour Une Jeune Fille Qui Va Bien, un drame tragique à la justesse bouleversante et sincère. Avec une apparente légèreté, le film s’articule autour d’un personnage, une jeune fille, bien dans sa peau, pleine de vie et de projets pour l’avenir, qui tombe même amoureuse. Une histoire banale, tranquille, qui n’aurait eu aucun impact si elle ne se déroulait pas en 1942 et que l’héroïne en question n’était pas juive.
Comme le dit l’expression « faire l’autruche », le film démarre avec une tonalité bohème, presque étrange quand on connait le contexte, mais qu’on essaie ardemment d’ignorer – comme cette jeune fille, tant le film communique l’envie et l’espoir d’une vie normale. Une Jeune Fille Qui Va Bien maîtrise un équilibre fin entre les apparences légères et presque solaires de cette jeune fille en fleur, tout en distillant de plus en plus gravement l’inquiétude et le danger d’une guerre qu’on devine mais qu’on ne se voit pas.


Sandrine Kiberlain garde son focus sur son héroïne dont on devine les limites de la naïveté, tandis que des détails terribles s’amoncellent en toile de fond. D’abord presque insignifiants, une disparition inexpliquée qui s’oublie rapidement face aux émois naissants de l’héroïne, jusqu’à la marque sordide qui vient s’imprimer sur les vêtements des personnages. Une Jeune Fille Qui Va Bien s’assombrit lentement mais sûrement, contrastant avec l’énergie vivace de son personnage, avant une conclusion glaçante, tranchante, comme pour couper court à l’élan de cette jeune fille dont la vie semblait s’étirer droit devant elle.

Doux et amer, le film de Sandrine Kiberlain est bouleversant. La façon dont le récit conjugue les émotions d’une jeune fille en fleur et la tension alarmante qui grandit en filigrane est d’une justesse angoissante. Le contraste des points de vue (celui de l’héroïne vs celui du spectateur) est poignant, surtout quand l’inquiétude se mue peu à peu en une sinistre réalité. Le film anéantit petit à petit tout espoir possible, je me suis surprise à espérer voir les rêves du personnage central se réaliser, mais à chaque fois le récit m’a rattrapé avec un détail, un plan, une information qui venait enfoncer le clou d’une réalité tout autre.
L’émotion portée par le film efface les maladresses de réalisation, comme les changements abruptes de luminosité quand une mauvaise nouvelle tombe ou encore le caractère un poil académique de la mise en scène.

Contrairement aux films qui se déroulent à la même époque, montrant souvent les mêmes schémas scénaristiques dans un mélodrame calculé, Une Jeune Fille Qui Va Bien rend hommage, dans une certaine mesure, à cette jeunesse qui a été fauchée en plein vol, qu’elle ait survécu ou non à la Seconde Guerre Mondiale. Pire, bien que le contexte soit différent, le film rappelle qu’une autre guerre se déroule actuellement aux portes de l’Europe et que nos vies tranquilles pourraient bien basculer du jour au lendemain. Peut-être que Sandrine Kiberlain embellit l’Occupation et adoucit beaucoup l’ambiance et l’hostilité xénophobe de la France de 1942, certes. Et pourtant, c’est cette dose exagérée de bonheur et romance qui rend la tragédie qui se déroule en coulisses, plus sombre, véritable et plus douloureuse.

Au casting : j’en profite pour dire que j’ai rencontré Rebecca Marder (Seize Printemps, Deux Moi, Un Homme Pressé…) en 2021 alors que nous prenions tous les deux l’avion pour nos vacances respectives – pur hasard. A la ville, c’est une femme adorable et incroyablement accessible, alors qu’alors j’ai admis que je n’avais vu aucun film d’elle (elle aurait pu s’en vexer, surtout que j’avais geeké sur la carrière de son compagnon que j’avais reconnu en premier). Tout cela pour dire (pasque je ne cherche pas juste à me vanter, hin) que cette fraicheur et sensibilité qu’elle incarne à l’écran est la même en vrai. Ca ne veut pas dire qu’elle ne joue pas, simplement que Rebecca Marder illumine le film dès les premières minutes, rendant son personnage attachant – là où d’autres actrices auraient pu être bien plus fades et transparentes, par exemple. Autour d’elle, on retrouve André Marcon (Boîte Noire, Illusions Perdues…), Anthony Bajon (Teddy, La Prière…) et surtout Françoise Widhoff (Seize Printemps…), hyper touchante en grand-mère moderne, tandis qu’India Hair (Mandibules, Crash Test Aglaé…), Florence Viala (Mon Bébé, Maryline…) et Ben Attal (Les Choses Humaines, Le Brio…) complètent l’ensemble.

En conclusion, j’y allais par affection pour Sandrine Kiberlain, que j’aime beaucoup en tant qu’actrice, et je m’attendais, pour être honnête, à un drame lambda. Une Jeune Fille Qui Va Bien est une agréable et émouvante surprise, qui prend la forme d’un drame crépusculaire, oscillant entre l’enivrement amoureux et la sinistrose dévorante d’une guerre terrible. C’est bouleversant, juste et sincère. À voir.

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