Thriller

[CRITIQUE] Chime, de Kiyoshi Kurosawa

Le pitch : Tashiro entend un carillon que personne d’autre n’entend.
Le “Chime”résonne.
Il affirme qu’une machine s’est greffée à son cerveau.
Le “Chime” résonne. Encore.
Matsuoka, son professeur de cuisine, tente de l’aider.
Le “Chime” résonne. Plus fort.
Tashiro se saisit d’un couteau.

En parallèle de la sortie de son dernier film, Cloud, Kiyoshi Kurosawa (La Voie du Serpent, Les Amants Sacrifiés…) propose également Chime, un moyen métrage de 50 minutes, et livre un exercice de style aussi fascinant que déroutant. Un film court, mais dense, qui confirme à quel point le cinéaste japonais maîtrise l’art de l’angoisse diffuse, du trouble insidieux et de la terreur sans débordement.

Là où tant de films de genre occidentaux déroulent leur programme en pilote automatique pour marquer vite et fort les esprits, Kiyoshi Kurosawa opère à l’opposé : il dilue les repères, ralentit le tempo et installe un malaise rampant. Ici, pas d’effets tapageurs ni de surenchère graphique : tout repose sur l’attente, l’impalpable, et ce qui n’est pas montré (ou entendu).
Son cadre, chirurgical, presque clinique, tranche avec l’univers de la cuisine, habituellement synonyme de chaleur, d’humanité, de couleurs et de transmission. Le contraste est glaçant : dans ces lieux clos, ternes et sans âme, un poison invisible infuse lentement, imperceptiblement, affectant les protagonistes et, surtout, le héros de l’histoire.

Avec son film presque expérimental, Kiyoshi Kurosawa capture l’horreur dans les interstices du quotidien, dans les silences et les regards, dans les espaces morts entre deux gestes mécaniques. Mais c’est surtout le travail sonore qui s’impose comme la véritable clé de voûte du film. Le “Chime” du titre n’est pas qu’un motif auditif : c’est une obsession, un parasite sensoriel qu’on devine et finit par contaminer le spectateur au-delà de l’écran, si bien que je me suis demandée à un moment si je l’entendais moi aussi (et ce, bien après la séance). L’expérience devient mentale, presque physique. Hypnotique.
Avec presque rien, si ce n’est une poignée de personnages, des décors épurés, un récit minimaliste, Kiyoshi Kurosawa tend une corde entre l’angoisse banale de la routine et un vertige plus intime, presque métaphysique. Il ne cherche ni à expliquer ni à rassurer et c’est justement ce refus de résoudre qui donne à Chime toute sa puissance : on en ressort hébété, sonné, hanté par cet ovni sensoriel, bref et pourtant marquant.

Au casting, Mutsuo Yoshioka (Onoda – 10 000 Nuit Dans La Jungle, Cloud…) est le protagoniste principal et multiple, incarnant un professeur rigide, un père mutique et un professionnel dépassé par son besoin de reconnaissance. Son incompréhension est notre miroir et contribue au sentiment hébété qui entoure le film. Autour de lui, Hana Amano, Seiichi Kohinata ou encore Tomoko Tabata hantent l’ensemble.

En conclusion, à une époque où les films de 3h ne sont plus des exceptions, Kiyoshi Kurosawa prouve avec Chime – s’il le fallait – que la durée n’a jamais été synonyme de qualité. À voir.

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