
Le pitch : Anora, jeune strip-teaseuse de Brooklyn, se transforme en Cendrillon des temps modernes lorsqu’elle rencontre le fils d’un oligarque russe. Sans réfléchir, elle épouse avec enthousiasme son prince charmant ; mais lorsque la nouvelle parvient en Russie, le conte de fées est vite menacé : les parents du jeune homme partent pour New York avec la ferme intention de faire annuler le mariage…
Bien connu des festivals de films, Sean Baker a d’abord conquis celui de Deauville avec Tangerine (2015) avant de marqué Cannes avec The Florida Project (2017). Sorte de Ken Loach luxuriant et plus subversif, le cinéaste américain continue d’explorer des personnages marginaux et revient avec Anora, une œuvre effervescente, à la croisée du conte moderne et de la satire sociale, qui a reçu la Palme d’Or au dernier Festival de Cannes.

Sean Baker signe un film qui mélange les genres avec une habileté rare. Avec Anora, il délaisse la moralisation pour embrasser la complexité des aspirations humaines. Loin des clichés sexistes d’un Pretty Woman, ce film offre une héroïne fascinante et farouchement autonome. Anora n’est pas une victime passive : elle évolue sous nos yeux, renversant la dynamique de pouvoir face aux bras cassés mafieux qui tentent de la contrôler. Ces antagonistes, bien que menaçants, sont dépeints comme des guignols pathétiques, plus risibles qu’effrayants, offrant au film une tonalité mi-dramatique, mi-burlesque. Ces faux-méchants pourraient tout aussi bien des acolytes de Vincent Vega et de Jules Winnfield du film Pulp Fiction, le goût du meurtre en moins !

Au-delà des personnages, Sean Baker dresse un tableau saisissant de deux mondes en opposition : d’un côté, une Amérique débridée et consumée par ses excès ; de l’autre, une Russie excentrique et conservatrice, présentée comme une mafia familiale où la richesse côtoie le mépris de classe. Cette confrontation, explosive et exubérante, nourrit une satire qui éclaire les contradictions et les hypocrisies des deux sociétés.

Au-delà de son intrigue, Anora brille par sa portée symbolique. Sean Baker propose une réflexion acerbe sur l’effondrement du rêve américain, perverti par le capitalisme sauvage et la perte de repères moraux. Anora incarne cette quête d’une vie meilleure, où tout – même le corps – devient une marchandise, reflet d’une société où l’opportunisme est une condition de survie. Face à cette Amérique en déliquescence, la Russie, bien que caricaturale, s’impose comme un contrepoint rigide et inflexible, cristallisant un mépris de classe qui semble invulnérable.

Le film captive par son rythme haletant et ses détours imprévisibles. Sean Baker nous entraîne dans une course contre la montre où la tension ne faiblit jamais. Pourtant, le final laisse un goût d’inachevé. Si l’on pouvait espérer une conclusion à la hauteur de l’intrépidité d’Anora, le scénario choisit une résolution plus conventionnelle, presque un retour à la case départ. Ce choix, bien qu’en cohérence avec la désillusion ambiante du film, frustre en partie, tant il semble trahir la combativité du personnage principal.

Au casting : Mickey Madison (Once Upon a Time… In Hollywood, La Famille Addams…), révélée dans Scream 5, change de registre et est ici une véritable révélation, illuminant l’écran par son charisme brut. Sa performance incandescente confère au film son âme et son énergie. Chaque regard, chaque geste (défiant souvent habilement le male gaze) raconte l’histoire d’une femme qui refuse de se conformer, explorant les frontières entre opportunisme et survie.
Autour d’elle, un parterre de bonhommes paumés : Mark Eydelshteyn – sorte de jeune Timothée Chalamet russe – est parfait en gosse de riche, rôle qui masque habilement les maladresses de cet acteur novice, tandis que Yura Borissov (Le Maître et la Marguerite, Red Ghost…), Vache Tovmasyan et Karren Karagulian (The Florida Project, Tangerine…) forment un trio de faux-méchants cocasses.
En conclusion, Sean Baker livre un film captivant, portée par la performance éblouissante de Mickey Madison et une mise en scène audacieuse. Si son final prévisible atténue son impact, Anora propose un conte moderne éclatant, où le chaos d’une nuit américaine devient le miroir d’un monde en quête de sens. À voir.

