Comédie

[CRITIQUE] Selfie, de Thomas Bidegain, Marc Fitoussi, Tristan Aurouet, Cyril Gelblat et Vianney Lebasque

Le pitch : Dans un monde où la technologie numérique a envahi nos vies, certains d’entre nous finissent par craquer. Addict ou technophobe, en famille ou à l’école, au travail ou dans les relations amoureuses, Selfie raconte les destins comiques et sauvages d’Homo Numericus au bord de la crise de nerfs…

Ce monde hyper connecté dans lequel nous vivons, ou subissons pour les plus réfractaires, inspirent de plus en plus les films et les séries. On anticipe les dérives dans la série Black Mirror ou le film The Circle (2017), on joue à se faire peur dans Unfriended (2014), Nerve (2016) ou encore un des pionniers Hard Candy (2005), on étudie la naissance du phénomène avec The Social Network (2010), on observe l’étalage de la vie privée pour le meilleur ou pour le pire avec Searching – Portée Disparue (2018) ou les séries Mr Robot et You, on tente même d’en rire dans la série Selfie avec Karen Gillan qui n’a pas duré, Les Stagiaires ou #Chef et on tombe amoureux avec des exemples comme Her (2014). Bref, les exemples sont nombreux.

Aujourd’hui, internet a envahi notre quotidien, grignotant qu’on le veuille ou non des données de notre intimité que l’on soit accro à l’exposition, addict au partage d’opinion anonyme, (wannabe) influenceurs ou simples consommateurs en ligne. Pour en explorer ces limites, Thomas Bidegain, Marc Fitoussi, Tristan Aurouet, Cyril Gelblat et Vianney Lebasque unissent leurs forces pour réaliser Selfie, une comédie sous forme de sketchs entrelacés. L’idée est originale : depuis la famille qui devient accro aux likes après avoir rendu public un combat personnel jusqu’au consommateur victime des stratégies marketing de son site favori, en passant par les rencontres amoureuses façonnées par le digital, Selfie semble viser juste en trouvant un équilibre hilarant, parfois acide mais surtout lucide.
Les réalisateurs s’intéressent surtout aux dérives des personnages avec un réalisme un poil cynique mais percutant alors que les paillettes des likes finissent par se substituer à l’essentiel : les rencontres en face-à-face, l’éducation des enfants ou tout simplement l’intimité et le droit d’avoir un jardin secret. Le film pousse le vice jusqu’à son extrême, surfant sur la hantise générale de voir ses secrets dévoilés – un peu comme Assassination Nation l’avait imaginé, en bien plus sage.

Si l’ensemble est sympathique, les réalisateurs enfoncent tout de même des portes grandes ouvertes. Derrière la comédie piquante, on renifle surtout le constat légèrement aigri d’une génération qui commence tout juste à glisser vers le « c’était mieux avant », finissant par critiquer pour le plaisir de critiquer sur fond de discours vaguement averti. C’est d’ailleurs la conclusion qui assène le coup de grâce, trop focalisée sur une vie privée forcément honteuse qui dévoilerait les coucheries des uns et des autres – une option pour le moins vieillotte car les humains n’ont jamais eu besoin d’internet pour découvrir l’infidélité (et ceux qui n’arrivent pas à effacer leurs traces en ligne ne font pas partie des plus jeunes, soyons honnêtes…) ! Selfie passe à coté de son sujet : OK l’étalage de la vie privée est un risque, mais le film ne fait qu’effleurer la notion du troll des réseaux sociaux dans une version bien trop mignonne, du marketing sournois mais malin qui se cache derrière le e-commerce et la collection de données privées qui se fabrique à chacun de nos interactions numériques. Pourquoi ? Sûrement parce que toute cette cohorte de réalisateurs et de scénaristes ne maîtrise justement pas ces sujets et finissent par se limiter à leur propre utilisation « des internets » : choper, tromper et consommer, sans véritablement saisir ce qu’est un influenceur ou les bases du cross et de l’up-selling. Ça sent le vieux, en fait : Selfie fait l’effet d’un dernier soubresaut d’une génération vieillissante en pleine transition entre le jeune branché et le pépère qui ne s’assume pas encore.

Au casting, on retrouve Blanche Gardin (Tamara, Problemos, Adopte Un Veuf…) en tête d’affiche : l’humoriste est excellente dans son personnage d’accro à la validation d’inconnus sur sa vie privée, formant avec Maxence Tual (Mais Vous Êtes Fous, Docteur ?…) l’un des duos les plus saisissants et intéressants du film. Elsa Zylberstein (Les Têtes de l’Emploi, Tout Le Monde Debout…) est touchante en troll gentil, soulignant une génération dépassée par la portée de son avis en ligne, face à un Max Boublil (Play, Comme des Garçons…) qui ressert une énième version copiée-collée de son personnage lassant. Autre bonne surprise, Finnegan Oldfield (Le Poulain, Réparer Les Vivants…) incarne également un des rares personnages crédibles à l’histoire percutante alors qu’il n’envisage l’interaction avec une femme qu’il croise tous les jours qu’à travers une application de rencontres. À l’affiche également, Manu Payet (Budapest, Tout Pour Être Heureux…) joue les sur-consommateurs au grand dam de Julia Piaton (Bon Dieu 2, La Monnaie de leur Pièce…), tandis que le reste du casting se compose de visages plus ou moins connus : Fanny Sidney (Dix Pour Cent…), Sébastien Chassagne (Irresponsable…), David « Estéban » Boring (Gaston Lagaffe…), Mariama Gueye (L’Ascension…) ou encore Alma (petite fille de) Jodorowsky.

En conclusion, même à plusieurs, Thomas Bidegain, Marc Fitoussi, Tristan Aurouet, Cyril Gelblat et Vianney Lebasque n’ont pas grand chose à dire : Selfie se moque de l’évidence puis s’essouffle rapidement avant d’opter pour une queue de poisson fastoche en guise de conclusion. On aura l’impression que le film a bien saisi les risques « des internets », mais en y réfléchissant bien, l’ensemble reste en surface, observant – comme ses créateurs – un monde qu’il ne comprend pas vraiment, désincarné dans l’exercice par une fameuse « petite sirène » mystérieuse. À tenter.

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