
Le pitch : Fils de réfugiés, petit, pauvre, à la voix voilée, on disait de lui qu’il n’avait rien pour réussir. À force de travail, de persévérance et d’une volonté hors norme, Charles Aznavour est devenu un monument de la chanson, et un symbole de la culture française. Avec près de 1200 titres interprétés dans le monde entier et dans toutes les langues, il a inspiré des générations entières. Découvrez le parcours exceptionnel et intemporel de Monsieur Aznavour.
Le duo Mehdi Idir et Grand Corps Malade (Patients, La Vie Scolaire…) est de retour avec un troisième long-métrage et s’aventure cette fois-ci dans le terrain balisé qu’est le biopic, plus précisément, le biopic sur un artiste culte français. C’est un genre qui a déjà vu passer des œuvres majeures consacrées à des figures emblématiques comme Gainsbourg (Vie Héroïque) de Joann Sfar, Dalida de Lisa Azuelos, Cloclo de Florent-Emilio Siri, et bien sûr l’incontournable La Môme d’Olivier Dahan. Cette fois-ci, c’est à Charles Aznavour, autre géant de la chanson française et symbole culturel international, qu’est consacré ce portrait en lumière, à la fois intime et respectueux.

Le film retrace avec minutie le parcours d’un artiste au destin exceptionnel, qui pourtant avait tous les atours d’un outsider. Charles Aznavour, fils de réfugiés arméniens, n’avait à ses débuts rien du portrait type du chanteur populaire, si ce n’est sa plume, son envie de chanter et son sourire éternellement enfantin. Pour ma part, je ne connaissais pas son histoire, j’ai toujours connu Aznavour vieux, mais ses chansons, comme celles d’autres grands artistes francophones, ont toujours fait partie du paysage musical, que ce soit en fin de soirée ou au détour d’un karaoké endiablé. Le film de Mehdi Idir et Grand Corps Malade était donc l’occasion d’en découvrir un peu plus.
Rapidement, le film choisit de se reposer sur une atmosphère à la fois nostalgique et musicale. Une première partie maladroite retrace la jeunesse du personnage, de son arrivée en France jusqu’à sa découverte de la scène, en passant par les années 40 marquée par l’invasion allemande. De son désir de se produire sur scène à sa rencontre déterminante avec Edith Piaf, Monsieur Aznavour séduit par sa bonhomie bohémienne et sa photographie chauvine qui nous trimballe dans la France d’antan, au gré du sourire d’un Tahar Rahim transformé.

Monsieur Aznavour se démarque des autres biopics qui parviennent à marquer en traquant la part d’ombres de ses personnages. Qu’il s’agisse du tempérament autodestructeur d’Édith Piaf, des tragédies de la vie de Dalida ou du caractère difficile de Claude François, le biopic fait la promesse tacite de dévoiler la face cachée de ces artistes. En montrant leurs failles, il réussit à les rendre plus humains tout en renforçant leur statut de légendes, car ces ombres ont, d’une manière ou d’une autre, façonné leur carrière. Chez Mehdi Idir et Grand Corps Malade, c’est un Monsieur Aznavour ambitieux que l’on découvre, dévoré par une soif de reconnaissance qui le poussera quelques sacrifices personnels… qu’il refoulera constamment, pour mieux garder de vue son objectif.
Cependant, on est bien loin de la noirceur d’autres biopics, puisque le film s’attelle à rendre hommage à l’artiste, sans chercher à érafler l’homme – si matière il y a à érafler, d’ailleurs… En effet, le décès de son fils, un événement marquant de la vie d’Aznavour, n’est qu’effleuré dans le film, et le scénario ne cherche jamais à creuser une éventuelle part d’ombre dans son caractère. Cet angle offre certes un film plus chaleureux, mais il laisse en retrait certaines dimensions humaines, se concentrant avant tout sur la grandeur artistique et la persévérance du chanteur.

La bande originale du film s’appuie naturellement sur les plus grands succès de Charles Aznavour, qui bercent les spectateurs dans une ambiance tantôt euphorique, tantôt empreinte de nostalgie. Ces chansons, presque connues de tous, accompagnent les moments charnières de la vie du chanteur ou offrent des moments de performances prodigieux. Ici, la musique se fait guide et ancre émotionnelle pour le spectateur. Les mélomanes et fans du chanteur y trouveront une immersion délectable, tandis que ceux qui connaissent moins son répertoire pourraient être surpris par l’ampleur de son héritage musical.
J’ai également aimé redécouvrir des époques et des artistes d’antan (Charles Trenet, Frank Sinatra, Gilber Bécaud, Johnny Hallyday…) au travers du film. La reconstitution, fidèle à la tradition des films français, est impeccable. Les effets de rajeunissement par IA, surtout au début, peuvent surprendre ; pour ma part, je les ai trouvés acceptables pour un film comme Monsieur Aznavour, bien que les fossettes de Tahar Rahim jouent parfois à cache-cache d’un plan à un autre. Cela m’a rappelé Looper et son effet “uncanny valley” avec Joseph Gordon-Levitt et Bruce Willis… mais est-ce si crucial ici ? Je ne crois pas. Mon seul vrai bémol : Rahim, bien plus grand qu’Aznavour, crée un contraste visible qui peut détonner.

Au casting justement : Tahar Rahim (Madame Web, Désigné Coupable, Napoléon…) est phénoménal et j’espère qu’il décrochera a minima une nomination aux prochains César, grâce à sa performance remarquable, entre mimétisme et émotion. À ses cotés, Bastien Bouillon (Le Comte de Monte-Cristo, Simone, Le Voyage du Siècle, La Nuit du 12…) et Camille Moutawakil (D’Argent et de Sang, Hanna…) campent des seconds rôles aussi déterminants qu’importants, tandis que Marie-Julie Baup (Champagne !, L’Esprit de Famille…) incarne une Edith Piaf étincelante, quinze ans après Marion Cotillard, montrant qu’il est possible de proposer d’autres versions de cette artiste.
En conclusion, Mehdi Idir et Grand Corps Malade font fi de la règle tacite du biopic qui est sensé creuser la part d’ombre de son personnage et propose un film chaleureux qui honore la carrière de Charles Aznavour. Monsieur Aznavour est joyeusement porté par une bande-originale entraînante et l’implication de figures emblématiques de la chanson française (surtout Edith Piaf), ce qui confère au film une forme de feel-good movie dont on ressort avec le sourire. À voir.

