Comédie

[CRITIQUE] La Vie Scolaire, de Grand Corps Malade et Mehdi Idir

Le pitch : Une année au cœur de l’école de la république, de la vie… et de la démerde ! Samia, jeune CPE novice, débarque de son Ardèche natale dans un collège réputé difficile de la ville de Saint-Denis. Elle y découvre les problèmes récurrents de discipline, la réalité sociale pesant sur le quartier, mais aussi l’incroyable vitalité et l’humour, tant des élèves que de son équipe de surveillants. Parmi eux, il y a Moussa, le Grand du quartier et Dylan le chambreur. Samia s’adapte et prend bientôt plaisir à canaliser la fougue des plus perturbateurs. Sa situation personnelle compliquée la rapproche naturellement de Yanis, ado vif et intelligent, dont elle a flairé le potentiel. Même si Yanis semble renoncer à toute ambition en se cachant derrière son insolence, Samia va investir toute son énergie à le détourner d’un échec scolaire annoncé et tenter de l’amener à se projeter dans un avenir meilleur…

Il y a deux ans, Grand Corps Malade co-réalisait son premier film avec Mehdi Idir, Patients, un témoignage touchant sur le parcours de jeunes en centre de rééducation. Un film personnel, capitalisant sur son histoire douloureuse et qui, malgré ses accents graves, apportait une bonne humeur singulière et une bonne dose optimisme. Après un tel succès qui a récolté trois nominations aux Césars, le duo est de retour avec La Vie Scolaire, une comédie, disons, éducative sur le quotidien du personnel éducatif d’un collège dans le 93 (aka le département terrible de la France).

Après des films comme Entre Les Murs (2008), Les Héritiers (2014) ou encore Mauvaises Herbes (2018), La Vie Scolaire est porté par un air de déjà-vu formaté qui narre une réalité à la fois caricaturale mais comique dans un collège difficile du 93. Est-ce l’occasion de découvrir la population hétéroclite de la région parisienne ou de revivre son adolescence ? Ou est-ce finalement une tentative de défendre les représentants de l’Éducation Nationale en dénonçant le manque de moyen (physique, financier ou tout simplement moral) pour améliorer la scolarité d’adolescents en roue libre ? Un peu tout cela à la fois ou une sortie agréable comme si on allait au zoo ? Je me pose plein de questions. Ayant grandi dans une zone similaire en région parisienne, j’y ai retrouvé, effectivement, des passages de mon adolescence – et pas forcément les plus glorieux – mais surtout une certaine complaisance et une sorte de fierté mal placée à montrer des gamins insolents face à des adultes qui ne sont parfois pas plus matures qu’eux.

Je n’ai pas compris les intentions de La Vie Scolaire, en dehors du divertissement. Avec Patients, je trouvais que Grand Corps Malade et Mehdi Idir livraient quelque chose d’authentique, forcément, puisque le premier a vécu les situations qu’il relate dans le film. En découvrant que les réalisateurs avaient un parcours similaire en région parisienne avant d’évoluer dans le milieu de la musique, du rap ou du slam, je me suis dit que ce nouveau film aurait également cette fibre sincère, actuelle mais aussi dénonciatrice des problèmes d’éducation. Après avoir vu La Vie Scolaire, je me suis demandé si, finalement, Patients était aussi vrai que ça ou si le film fantasmait également la réalité, tant j’ai trouvé ce nouveau film surfait et immature (pour ne pas dire limite et dangereux).

Véritable fourre-tout générationnel, La Vie Scolaire coche toute les cases attendues pour ce genre de film : le quota de minorité, check ; le language « street », check ; les insolences et les insultes, check ; les histoires de drogue et de trafic flous, check ; mention d’un parent (minimum) en prison, check. La petite originalité du film, c’est non pas de vouloir se positionner du coté des profs, mais de la vie scolaire (comme son titre l’indique), à savoir la CPE et les surveillants. Un choix intéressant, qui révèle, pour ceux qui ne le savaient pas, aussi bien le manque d’effectif que le profil souvent trop proche des adolescents encadrés. Et c’est dans ce dernier détail que le film s’écroule. D’un coté, j’ai aimé découvrir cet éventail large de collégiens dissipés, mais qui laissent parfois filtrer une curiosité ou des difficultés privées qu’ils faudrait encourager ou résoudre ; de l’autre coté, le film ne parvient pas à choisir entre les élèves et les adultes, si bien que les limites se floutent et les personnages finissent par se confondre.

Rapidement, La Vie Scolaire se focalise sur un adolescent en particulier, le fameux Yanis : vif, insolent et intelligent mais manquant de motivation. Le personnage agit comme une boussole pour effleurer les seconds rôles et enrichir les interactions avec les adultes, mais Grand Corps Malade et Mehdi Idir ne font que stagner en surface. Le scénario révèle par bribes les contextes variés de ses personnages mais ne les approfondira jamais, préférant se réfugier derrière les vannes qui fusent et les gimmicks inutiles (le gamin qui court tout le temps, le seul prof (Blanc) qui se sent persécuté, le prof d’EPS et ses idées étranges (mais financées, hin)…) pour faire vivre l’aspect comique du film.

Oui mais voilà, une fois qu’on a bien rigolé, il faut bien trouver un moyen de faire chouiner dans les chaumières, et c’est là que le film entame un virage prévisible avec la subtilité d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Le film dérape, le jeune Yannis aussi et patatras, tout est remis en question… à l’arrache et de façon scolaire. La Vie Scolaire suit la carte du cliché social à la lettre, mais au lieu de dénoncer ou d’encourager le personnel éducatif, le film cristallise une mission défaillante qui, au lieu de sauver des élèves, les parquent dans des voies de garage pour éviter la déscolarisation. Au lieu du message optimiste, le film de Grand Corps Malade et Mehdi Idir enfonce le doigt là où ça fait mal et, à l’image du film de Laurent Cantet, Entre Les Murs, montre que toute bonne volonté n’est pas forcément récompensée. Cependant, difficile de voir si c’était volontaire où si ce n’est que le résultat d’une narration maladroite qui finit tout de même par faire mouche.

La Vie Scolaire n’est pas mauvais mais décevant, car le film vise seulement la facilité, le cliché ou la caricature et ne rend pas vraiment justice aux adolescents du 93 (ou de la région parisienne). Pour avoir fait partie des élèves insolents et à la limite de l’exclusion définitive, le film me rappelle certes cette étape de ma vie mais je trouve que dans son message pour les ados, l’approche est fantasmée et risque d’assurer qu’avoir un comportement inapproprié en classe est cool et sans véritable risque. Aucun élève ne subit de vraies conséquences de leurs agissements, il y a toujours une échappatoire pour servir d’issues de secours et les parents deviennent complices, même quand ils tentent de raisonner leurs gamins. Du coté des adultes, le moindre écart est fatal et gênant – notamment pour ce professeur (Blanc, je le rappelle, car ce détail n’est pas anodin) à bout de nerfs face à des élèves qui dépassent les bornes et qui ne trouve aucun soutien de la part de ses pairs qui vont le charrier comme des adolescents et se ranger du coté des élèves, uniquement pour faire rire le public. Moi qui ait tendance à dénoncer les professeurs à têtes de Turc, j’ai eu de la peine pour ce personnage présenté comme un méchant injustement.

Dans la salle où j’ai vu le film, il y avait énormément d’ados, qui ont jubilé à chaque vanne et qui, en sortie de séance, ont surtout retenus les meilleurs piques. En voulant jouer les témoins d’une génération actuelle tout en faisant des appels du pieds aux anciens (via la bande-originale notamment), La Vie Scolaire finit par donner raison malgré lui à la discrimination qui démarre dès le code postal en proposant un portrait maladroit et peu réfléchi, plus porté par l’envie de faire rire avec des vannes de collège que par la volonté de mettre en avant un milieu social souvent assimilé aux pires faits divers. En tant que banlieusarde au dossier scolaire qui a failli mal se terminer, je trouve ça nul et souvent déplacé en fait. Déplacé car le film donne raison à des adolescents qui n’ont ni repère ni perspective dans la vie, pour des raisons sociales ou familiales, en validant leur comportement à travers la comédie, sans véritablement pointer du doigt la fragilité de cette année charnière. Là où Laurent Cantet avait réussi à jongler entre les élèves abusifs et la légitimité des professeurs à ne pas tout laisser passer, La Vie Scolaire brasse le permissif avec un récit qui met en avant l’insolence au détriment de l’éducation et de l’avenir des jeunes.

Au casting presque choral, on retrouve Zita Hanrot (Plan Cœur, Carnivores, La Fête Est Finie…) et Soufiane Guerrab (Engrenages, Patients, Nous Trois Ou Rien…) en wannabe mentors, tandis que Moussa Mansaly (La Surface de Réparation, Patients…) et Alban Ivanov (Le Grand Bain, Le Sens de la Fête…) servent de liaison comique à la mentalité des juniors. Liam Pierron incarne le fameux Yanis et se révèle convaincant dans le rôle de cet adolescent néanmoins attachant.

En conclusion, La Vie Scolaire à l’air d’être une énième comédie sociale qui cherche à montrer un autre visage de la banlieue et des élèves « difficiles ». On y serait presque arrivé si Grand Corps Malade et Mehdi Idir ne s’étaient pas limités à un portrait immature à la tonalité adolescente qui fantasme plus qu’elle ne sert les personnages représentés. Si l’idée était de faire rire les ados et les conforter dans des comportements insolents juste avant la rentrée, alors c’est réussi. Bon courage au (grand) corps enseignant. À tenter.

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