Drame

[CRITIQUE] Ogre, de Arnaud Malherbe

Le pitch : Fuyant un passé douloureux, Chloé démarre une nouvelle vie d’institutrice dans le Morvan avec son fils Jules, 8 ans. Accueillie chaleureusement par les habitants du village, elle tombe sous le charme de Mathieu, un médecin charismatique et mystérieux. Mais de terribles événements perturbent la tranquillité des villageois : un enfant a disparu et une bête sauvage s’attaque au bétail. Jules est en alerte, il le sent, quelque chose rôde la nuit autour de la maison…

Bien que ce soit son premier long-métrage, Arnaud Malherbe est scénariste et réalisateur depuis plusieurs années, sur des court-métrages, des téléfilms comme Chambre Noire (2012) ou Belleville Story (2009) et également des séries telles que Chefs (2015) ou encore Moloch (2020). Son parcours a été récompensé dans plusieurs festivals au film du temps, de Gérardmer en 2008 jusqu’à Canneséries en 2020. C’est donc naturellement qu’il se lance dans le grand Bain avec Ogre, un film de genre qui a fait parler de lui au Festival de Deauville 2021 et à Gérardmer cette année.

A l’écran, une histoire simple de seconde chance dans un village perdu dans la pampa, hanté par la disparition d’un enfant et une sombre histoire de veaux mutilés. On découvre ces sous-intrigues par le prisme d’un enfant fraichement débarqué avec sa mère, tout deux venant de fuir la ville et un père violent. Si le film n’entre jamais dans les détails sordides du passé, ce dernier plane comme une ombre au dessus du récit, modelé à travers des traumatismes d’enfants et des non-dits assourdissants.
Ogre installe rapidement une atmosphère prenante, qui – en tant que rat des villes – m’a rapidement inquiétée alors que les scènes nocturnes sont occupés de bruits blancs que l’imaginaire va prendre un malin plaisir à interpréter. Entre cauchemar éveillé et réalité, Arnaud Malherbe propose un film d’ambiance pétri par un mystère encore plus indicible du point de vue enfantin. Les histoires d’adultes deviennent des terrains de jeu façonné par le sentiment d’inquiétude et de peur qui se tapit dans les coins. L’ambiance sonore est également très intéressante dans ce film, car les sons et les bruitages apportent beaucoup à l’intrigue qui s’enlise dans un conte noir qui rappelle l’enfant terrorisé qui est (était ?) en nous.

Si le climat anxiogène du film fait son effet, Ogre finit finalement par botter en touche. Entre sa lenteur (nécessaire malgré tout) et des personnages peu sympathiques, le réalisateur et scénariste du film a bien du mal à créer de l’attachement pour ce duo mère-fils et encore moins pour les personnages secondaires qui sont soit agressifs, soit caricaturaux. De la petite fille qui balance des réponses obscures à demi-mots au campagnard rustre, le film s’embourbe dans des clichés de genre et rate finalement sa sortie. Quand la réalité rejoint le fantastique, Arnaud Malherbe révèle trop tardivement l’accent psychologique dans son film et s’efforce de donner vie à son Ogre. Seulement, le résultat est trop littéral et perd sa dimension symbolique en voulant trop être réaliste dans son face-à-face final décevant.
C’est dommage car l’idée de mêler la perception enfantine aux traumatismes vécus, forme d’illustration de « digestion mentale », reste un point de vue toujours intéressant quand il s’agit de tisser un thriller psychologique ou un drame aux accents fantastiques, mêlant la psyché infantile. De l’inoubliable Labyrinthe de Pan de Guillermo Del Toro au fabuleux Quelques Minutes Après Minuit de Juan Antonio Bayona, pour ne citer que les meilleurs exemples, le cinéma de genre est piqué par ces films portés par l’imaginaire d’un enfant faisant face à une réalité complexe qu’il a du mal à traduire. Du coup, les monstres de contes prennent vie et forme en se fondant dans une réel, ce qui peut souvent donner un objet de cinéma à l’expérience inégalable.

Malgré ce premier long-métrage ambitieux, Ogre ne parvient pas à convaincre jusqu’au bout car il oublie d’exploiter certaines de ces idées d’installation qui auraient pu rendre l’ensemble bien plus solide. En effet, le film manque souvent de renforcer les aspects intéressants de son histoire. Certes, les métaphores ne sont pas si profondes, mais le sujet dénoncé de prime abord (la maltraitance, donc) est totalement supplanté par la symbolique suggéré de ce monstre qui rôde maladroitement. De plus, malgré le travail sonore pour l’ambiance du film, la surdité de l’enfant n’est utilisée qu’a des fins cyniques (« les adultes me font ch**r, donc je coupe le son »), tandis que la relation visiblement tendue entre les mâles adultes qui jalonnent le film n’est pas vraiment expliquée. Bref, beaucoup de fils conducteurs s’éparpillent et disparaissent dans le scénario d’un film qui ne donne pas assez de codes au spectateur pour compléter les sous-entendus. L’ensemble se révèle bien plus faible que la promesse attendue, comme un premier jet soigné mais qui aurait mérité plus d’application.

Au casting : Ana Girardot (La Flamme, Deux Moi, Bonhomme…) revient au film de genre mais son rôle trop en retrait ne parvient pas à exister au-delà de son statut de love-interest pour mâle en rut. C’est finalement le jeune Giovanni Pucci qui porte le film dans une interprétation épatante, tandis que Samuel Jouy (Rebelles, Sparring…) joue les trouble-fêtes énigmatiques.

En conclusion, malgré ses lenteurs et un manque de maîtrise dans le storytelling, Ogre reste un joli coup d’essai donnant envie de voir ce qu’Arnaud Malherbe peut proposer d’autre (peut-être en choisissant d’être scénariste OU réalisateur, éventuellement…). À tenter, surtout pour encourager le cinéma de genre français – même avec ses défauts.

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