
Le pitch : Elisabeth Sparkle, vedette d’une émission d’aérobic, est virée le jour de ses 50 ans par son patron à cause de son âge jugé trop élevé pour la suite de sa carrière. Le moral au plus bas, elle reçoit une proposition inattendue, celle d’un mystérieux laboratoire lui proposant une « substance » miraculeuse : si elle se l’injecte, elle deviendra « la meilleure version » d’elle-même, « plus jeune, plus belle, plus parfaite » grâce à une modification cellulaire de son ADN.
Difficile à croire mais Revenge, le premier film de Coralie Fargeat date déjà de 2018 ! Arpès avoir fait sensation au Festival du film fantastique de Gerardmer 2018, Revenge c’est imposé dans le paysage du pulp horror, fustigeant le male gaze et le patriarcat, à travers une poupée ultra girly, transformée en amazone vengeresse.
En gros : The Substance de Coralie Fargeat est un thriller féministe saisissant qui, à travers le body horror et une esthétique provocante, dénonce avec audace l’obsession de la jeunesse et la violence des injonctions imposées aux femmes dans l’industrie du spectacle.

La réalisatrice revient avec un film stupéfiant, salué au Festival de Cannes 2024 par le Prix du Scénario. En effet, dans The Substance, Coralie Fargeat nous immerge dans une fable féministe et horrifique, où le miroir cruel de l’obsession pour la jeunesse et la beauté se transforme en un cauchemar à la croisée du body horror et de la satire sociale. L’intrigue suit le parcours d’un ancienne star du cinéma devenu animatrice d’un show d’aérobic, qui se fait évincée à cause de son âge, principalement à cause d’un producteur avide de chair fraiche. Durant son désarroi, elle est approchée par un contact mystérieux qui lui promet d’accéder à une meilleure version d’elle-même, sous respect de condition stricte. Si ce n’est pas sans rappeler l’ambition démesurée de Revenge, Coralie Fargeat pousse encore plus loin le potentiel subversif de son cinéma, explorant le vieillissement, la peur de l’oubli et la transformation physique jusqu’à l’irrémédiable.

Avec The Substance, Coralie Fargeat s’aventure dans un cinéma transgressif, où le culte de la beauté et de la jeunesse prend des airs de cauchemar glaçant. Par une mise en scène brillante, le film explore l’obsession de la perfection corporelle et la violence de l’industrie du spectacle, créant un miroir sans concession des injonctions qui pèsent sur les femmes. Dès les premières scènes, le film expose cette quête effrénée de la beauté « idéale », dépeignant la société comme une machine inlassable à produire et rejeter des idoles Et surtout, le film ne manque pas de montrer à quel point cette notion est à la fois subie mais aussi intégrée par les femmes, illustrant la complexité de la misogynie intégrée.

À travers une esthétique envoûtante et troublante, Coralie Fargeat nous livre une critique acerbe du male gaze, ce regard masculin qui exige de la femme qu’elle soit éternellement jeune, désirable et exploitable. Cette pression s’intensifie dans chaque plan, où le corps féminin est observé sous tous les angles, magnifié puis déshumanisé. Les références au body horror, inspirées du cinéma de David Cronenberg, permettent à Coralie Fargeat de jouer avec l’image du corps, orchestrant une déconstruction littérale et symbolique du corps féminin à travers la lente désintégration de l’héroïne et la montée en puissance de sa rivale : jeune, lisse et taillée dans la perfection troublante d’une poupée de chair, avec des boucles d’oreille en forme d’étoiles pour signature !

Dans une escalade de scènes aussi esthétiques que dérangeantes, The Substance se distingue par son traitement visuel ultra-provocant et sa narration troublante. Les cadrages serrés, parfois presque intrusifs, magnifient le corps jeune, toujours baigné de lumière et d’un cadre pop acidulé, tandis que le corps plus âgé évolue dans l’ombre, emmitouflé dans des surcouches de vêtements, avant d’être souvent évité. Un choix singulier et pertinent qui illustre la mécanique oppressive du regard qui juge et consomme à la fois. The Substance établit ainsi un parallèle acéré avec le star-système hollywoodien, où les étoiles féminines sont façonnées, puis jetées dans l’ombre à la première ride. La réalisatrice ne se contente pas d’effleurer les thèmes du body horror ; elle les pousse dans leurs retranchements les plus viscéraux. Les références à des films évocant la monstruosité humaine, comme La Mouche, Frankenstein, The Thing ou encore The Shining, s’imbriquent subtilement, enrichissant l’ambiance oppressante du film. À chaque étape, le corps se modifie et se transforme, évoluant de l’attrait au dégoût, jusqu’à un point de non-retour où la perfection devient monstrueuse.

Foncièrement politique, féministe et jusqu’au-boutiste, The Substance est une œuvre féministe et politique qui pousse le spectateur à réfléchir sur la place de la femme dans la société contemporaine, sur les exigences de beauté et la terreur du vieillissement. Coralie Fargeat, avec son style déjà affirmé depuis Revenge, semble cristalliser ici son obsession pour les codes esthétiques, en jouant avec le beau et le laid, le séduisant et le grotesque. The Substance peut se révéler aussi captivant que dérangeant. La caméra de Fargeat ne s’arrête pas devant l’horreur, bien au contraire, elle la magnifie avec une « esthétisation » de la chair rappelant Titane de Julia Ducournau. The Substance va plus loin, transformant la quête de la jeunesse en une folie destructrice qui fascine autant qu’elle horrifie.

Au casting, un face-à-face féminin prodigieux : Demi Moore (Un Talent en Or Massif, Feud – Les Trahisons de Truman Capote…), véritable révélation, livre une performance d’une rare intensité, s’exposant physiquement et émotionnellement dans un rôle qui semble être le reflet cru de sa propre trajectoire hollywoodienne. Ancien sex-symbol des années 90 grâce à Ghost, Proposition Indécente, Harcèlement et autre Striptease, Demi Moore était l’incarnation de la parfaite petite-amie américaine avant d’oser passer la barre des 30 ans. Comme d’autres actrices de son époques (Sharon Stone, Kim Basinger…) dont l’image a toujours été hyper sexualisée, Demi Moore a été moins visible – sans pour autant disparaitre. Son recours à la chirurgie esthétique n’étant pas non plus un secret, le personnage d’Elizabeth fait justement écho aux défis de son parcours et explore ici, sans artifices, le rapport intime et souvent douloureux d’une femme à son image en déclin et son âge avancé. Demi Moore se livre, sans concessions, et Coralie Fargeat en fait une héroïne poignante, dont la dignité se mêle au pathétique, une figure de la vieillesse bafouée par une industrie obsédée par la perfection physique. Si elle n’a pas, a minima, une nomination aux Oscars, je ne comprends plus rien !

Face à elle, Margaret Qualley (Maid, Stars At Noon…), qui jouait déjà les remplaçantes dans Pauvres Créatures !, incarne la jeunesse et la sensualité, prenant le rôle de la rivale, une figure parfaite mais creuse, à la fois soumise et complice des attentes d’une société qui fétichise la jeunesse. Un rôle demandeur qui ferait presque passer Margot Robbie version Barbie pour un vilain petit canard, l’actrice excelle dans ce jeu de contrastes, où elle combine l’innocence et la détermination, laissant transparaître la violence des dynamiques de pouvoir.
Autour d’elles, on retrouve notamment Dennis Quaid (Reagan, Midway…), qui remplace au pied levé Ray Liotta suite à son décès, incarne l’homme blanc et puissant dans toute sa splendeur… Tout en dégageant une monstruosité repoussante ! Un contraste marquant avec le traitement de l’esthétique féminine, qui rappelle judicieusement l’écart de tolérance entre hommes et femmes vieillissants sous les projecteurs. Par contre, si vous aimez les crevettes, préparez-vous à ne plus pouvoir en manger pendant un petit moment 😀

En conclusion, The Substance est un film à la fois magnifique et éprouvant, une œuvre où le sublime côtoie l’abject pour dénoncer l’obsession collective de la jeunesse et de la beauté. En empruntant les codes du body horror, Coralie Fargeat dénonce non seulement les diktats de la société, mais aussi la tragédie personnelle de chaque femme face au miroir. Audacieux, puissant, The Substance est un spectacle aussi effrayant que fascinant qui ne laisse aucun répit au spectateur. À voir absolument !

