
Le pitch : Jackie et Clotaire grandissent entre les bancs du lycée et les docks du port. Elle étudie, il traine. Et puis leurs destins se croisent et c’est l’amour fou. La vie s’efforcera de les séparer mais rien n’y fait, ces deux-là sont comme les deux ventricules du même cœur…
6 ans après son premier film solo, Le Grand Bain – qui avait récolté neuf nominations aux César 2019 pour une récompense (Meilleur acteur dans un second rôle), Gilles Lellouche revient avec un nouveau film et un défi. En effet, L’Amour Ouf est l’adaptation d’un roman irlandais écrit par Neville Thompson, Jackie Loves Johnser OK?, sorti en 2000. À la différence du livre, Gilles Lellouche choisit de romancer ses personnages, adoucissant notamment le personnage de Jackie (initialement décrite comme une allumeuse) et en mettant un amour adolescent et romanesque sur le devant de la scène, pour laisser la violence mûrir en toile de fond.

Pour ma part, je n’avais pas vraiment apprécié Le Grand Bain, je trouvais l’histoire n’arrivait pas à faire vivre ses personnages ensemble et se perdait dans la démonstration, ampoulée par des têtes d’affiche trop imposantes. Je n’étais donc pas hyper emballée à l’idée de voir son nouveau film, mais cette fois, avec un casting plus réduit et une histoire concentrée sur un duo, L’Amour Ouf est parvenu à me happer dans son histoire d’amour un peu folle, souvent naïve, parfois peu crédible et rêvée comme ces romances impossibles qui bercent les cœurs restés adolescents.

Avec L’Amour Ouf, Gilles Lellouche nous plonge dans une histoire d’amour qui se veut intense et tourmentée, où la passion se heurte à une réalité sociale complexe et aux blessures du quotidien. À travers une relation incandescente que rien ne semble pouvoir freiner, Gilles Lellouche livre ici une fresque haletante, aux accents familiers, qui touche autant par sa beauté visuelle que par la force de son propos. En effet, qui ne se souvient pas de son premier amour, celui qui semblait éternel ?

Plus précisément, L’Amour Ouf m’a rappeler ces fantasmes d’ados vieux comme le monde où une adolescence craque pour un bad boy – ce qui fonctionne toujours aujourd’hui quand on voit la recrudescence de dark romance et de films ou séries qui surfent sur la même dynamique. Le film de Gilles Lellouche, lui, m’a rappelé Mauvaises Fréquentations de Jean-Pierre Améris sorti en 1999, qui était déjà très ciblé adolescent mais d’une facture, avouons-le, plutôt médiocre (il a très mal vieilli). Heureusement, L’Amour Ouf ne va pas se contenter de son rêve adolescent grâce à une deuxième partie plus adulte plus ancrée dans la réalité et une réalisation inspirée.

Mais dans un premier temps, L’Amour Ouf nous attache à cette rencontre électrique sur fond de chocs des cultures. Gilles Lellouche parvient à capturer avec finesse cette fusion improbable entre leurs deux univers qui n’auraient jamais dû se croiser : la classe moyenne, encore pleine d’espoirs, et la classe ouvrière, désenchantée. Derrière cette romance se cache une violence sourde, celle de la société qui pèse sur leurs épaules et celle des émotions exacerbées propres à leur jeunesse.

Ce qui marque le plus dans L’Amour Ouf, c’est la performance du duo d’acteurs adolescents, qui crève littéralement l’écran. Leur énergie brute, leur authenticité et leur alchimie emportent le spectateur dans un tourbillon émotionnel vertigineux. On s’attache profondément à ces personnages, et c’est peut-être là l’un des petits défauts du film : lorsque la transition se fait vers leurs versions adultes, incarnées par des acteurs plus confirmés (et têtes d’affiche), l’impact est moins fort. On a tellement vécu avec eux dans leurs jeunes années que la suite paraît presque secondaire et trop éloignée du rêve éveillé.

Visuellement, L’Amour Ouf m’a séduite. Gilles Lellouche s’inspire de multiples influences, des comédies musicales à la West Side Story aux clips de rap urbain des années 90 (comme ceux de NTM, dont la chanson « Laisse Pas Traîner Ton Fils » arrive au bon moment, ou encore l’énorme référence au clip de Sully Sefil « J’voulais »), créant une atmosphère où la musique et les images se répondent dans une symphonie nerveuse. La photographie est belle et soignée, jouant sur des contrastes saisissants entre les néons colorés et les teintes métalliques froides des décors industriels. Cette esthétique, à la fois nostalgique et moderne, rappelle les années 80-90, tout en apportant une fraîcheur indéniable et plus travaillée que la blancheur hospitalière du Grand Bain.

Cependant, malgré toutes ces qualités, L’Amour Ouf fait l’effet d’un poisson hors de l’eau. Trop naïf, trop romancé et glamourisant à outrance la violence, le film de Gilles Lellouche transforme ses atouts en failles au fur et à mesure que le film avance. De plus, en passant trop de temps à installer la romance adolescente, quand la version plus adulte arrive, je ne suis pas parvenue à transposer mon affections pour les jeunes personnages vers les nouveaux. Là où la première partie semblait plus animée et viscérale, la seconde – en plus d’être expédiée – se morfond dans une léthargie que conquérante, certes expliquée par la vie qui a assommé nos personnages, mais qui fait l’effet d’un grand coup de frein dans cette ronde romanesque et fragile.

Au final, L’Amour Ouf ne parvient pas à se décider entre la fable moderne et le film de “loubard”. A l’inverse d’un Malabar bi-goût (référence des années 90), la violence latente de l’ensemble n’arrive pas vraiment à se mélanger à la romance puis que le film maintient constamment ces deux sphères séparées (contrairement au livre d’ailleurs). Le film finit par s’essoufler vers un happy ending mignonnet et suspendu, là où j’aurai préférée retrouver la tragédie annoncée dès le début.

Au casting, comme dit plus haut, le duo Malik Frikah (Apaches…) et Mallory Wanecque (Pas de Vagues, Les Pires…) volent la vedette à leurs alter-egos adultes qu’incarnent François Civil (Une Zone à Défendre, Les Trois Mousquetaires, Fiasco… et Adèle Exarchopoulos (Un Métier Sérieux, Je Verrai Toujours Vos Visages, Le Règne Animal…). La fraicheur du duo adolescent est captivant, on s’attache à leurs personnages, même malgré quelques cabotinages excusables, là où les versions adultes sont plus apathiques et souvent hargardes. Autour d’eux, on retrouve un Alain Chabat (Fumer Fait Tousser, Play, #JeSuisLà…) touchant en paternel paumé et un Benoit Poelvoorde (Normale, Adieu Paris…) très bon en caïd, tandis que Vincent Lacoste (Un Métier Sérieux, Le Parfum Vert…), Jean-Pascal Zadi (Tout Simplement Noir, En Place…), Raphael Quenard (Yannick, Chien de la Casse…), Anthony Bajon (Une Jeune Fille Qui Va Bien, La Prière…), Elodie Bouchez (Le Consentement, Pupille…) et Karim Leklou (Vincent Doit Mourir, Hippocrate…) complètent un ensemble conquérant et convaincants.
Fun fact : le cinéma français est tellement un petit monde, que tous ces acteurs – l’exception de Malik Frikah – ont déjà joué ensemble (Pas de Vagues, Je Verrai Toujours Vos Visages, Chien de la Casse, les films récents de Quentin Dupieux, etc….).
En conclusion, L’Amour Ouf de Gilles Lellouche séduit par sa première partie pleine d’énergie et d’émotion, portée par un duo d’adolescents bouleversants. Cependant, le film s’essouffle dans sa deuxième moitié, où la magie de la romance initiale peine à se prolonger, laissant une impression d’inachèvement malgré une esthétique soignée et un casting solide. À voir.

