Drame

[CRITIQUE] Pas de Vagues, de Teddy Lussi-Modeste

Le pitch : Julien est professeur au collège. Jeune et volontaire, il essaie de créer du lien avec sa classe en prenant sous son aile quelques élèves, dont la timide Leslie. Ce traitement de faveur est mal perçu par certains camarades qui prêtent au professeur d’autres intentions. Julien est accusé de harcèlement. La rumeur se propage. Le professeur et son élève se retrouvent pris chacun dans un engrenage. Mais devant un collège qui risque de s’embraser, un seul mot d’ordre : pas de vagues…

Près de sept ans après l’excellent Le Prix du Succès, le cinéaste et scénariste Teddy Lussi-Modeste (Jimmy Rivière, Une Fille Facile, Jeanne du Barry…) revient avec un drame social dans l’air du temps, à travers un récit de harcèlements et de controverses. Pas De Vagues a été écrit à quatre mains par le réalisateur et Audrey Diwan (L’Événement, Visions, L’Amour et les Fôrets, Mais Vous Êtes Fous…), inspiré par une histoire vécue par ce premier lorsqu’il était professeur lui-même. Porté par un François Civil pas mal critiqué pour ces récents choix de film (notamment le pas terrible Une Zone à Défendre où il incarne un policier qui s’éprend d’une ZADiste au cours d’une mission d’infiltration), le film Pas De Vagues raconte l’histoire d’un professeur aux apparences sympathiques, accusé de harcèlement sexuel par une jeune élève, dans un lycée de banlieue.

Ce simple pitch permet de soulever plusieurs thématiques houleuses et/ou sensibles, puis qu’au-delà du postulat de base, le film de Teddy Lussi-Modeste va également explorer le harcèlement scolaire, l’homophobie, tout en dénonçant, entre autres, un système engourdi par la peur face à un contexte social tendu. Forcément, quand l’accusation se transforme en hostilité frontale, alors que le film tient à nous mettre du coté du héros, difficile de pas penser à ces professeurs qui ont perdu la vie dans la réalité, ce qui pourrait expliquer l’immobilisme général.

Et pourtant, au lieu d’un récit intéressant, Pas De Vagues peine justement à naviguer à travers ses nombreux sujets. Remettre en question la parole d’une adolescente, à l’heure où l’opinion publique scande « on vous croit » à chaque nouveau témoignage #Metoo était une sacrée prise de risques. Le début du film dérange – au delà des actions discutables de cette CPE qui aggrave sensiblement les choses – en confrontant  les deux parties sans ménagement, avant de basculer dans une sous-intrigue où la banlieue s’habille de ses clichés usuelles de violence pour faire frémir une vie scolaire bienpensantes. Et oui, car qui dit ZEP dit forcément personnages patibulaires et jeunesses promptes à défier l’autorité en place, n’est-ce pas ?

La narration plate et adynamique donne l’impression que Teddy Lussi-Modeste a jeté ses billes au hasard, en espérant que tous ces sujets mis en vrac suffiront à faire passer la pilule. Tandis que l’ensemble s’évertue à faire passer son héros pour un Calimero en puissance, face à un monde trop méchant, Pas De Vagues refuse de mettre en questions sa potentielle implication et pointe du doigt tous ceux qui l’entourent. Teddy Lussi-Modeste s’éparpille en surface, tantôt montrant les élèves céder aux harcèlements sans jamais remettre en cause les responsables, tantôt montrant la faculté s’observer les bras ballants les yeux arrondis par la vacuité du scénario qui s’étire à n’en plus finir. Si le film est inspiré par une histoire vraie, il a la saveur d’un téléfilm qui n’affolera que les provinciaux lors de sa future diffusion sur une chaine télé publique (potentiellement pile à temps pour les élections, afin de donner du grain à moudre pour certains partis politiques, n’est-ce pas…), surtout avec ce final bâclé, soulignant l’état d’esprit du réalisateur héros de manière aussi subtile qu’une poutre apparente.
Même le cadre autour du film ne convainc pas : on nous balance l’orientation sexuelle du héros comme une arme de défense valable (quid si le plaignant avait été un jeune garçon ? Il aurait été coupable automatiquement du coup ??) et le film se complait dans un tableau de banlieusard pour les nuls avec son collège à classe unique et son cortège de clichés sur les gamins de cités. On est bien loin du fabuleux et éprouvant Entre les Murs de Laurent Cantet (2008), mais quelques parts aux cotés du complaisant La Vie Scolaire de Grand Corps Malade et Mehdi Idir (2019), l’humour et le point de vue en moins.

Pas De Vagues le bien-nommé, en effet, tant le film refuse de prendre position, ni dans le fond ni dans la forme, observant ses personnages s’engluer dans une toile transparente et superficielle. Pire il passe totalement à coté des problématiques importantes, à savoir répondre aux multiples « pourquoi ? ». Du comportement discutable du professeurs envers ses élèves à cette jeune fille, Leslie, dont les accusations avérées ou non semblent aussi être un appel à l’aide tonitruant, en passant par les véritables antagonistes et leurs motivations réelles, nombreuses sont les sous-intrigues qui aurait pu donner n’importe quelle orientation au film. Mais Teddy Lussi-Modeste est bien trop occupé à se représenter comme une victime bien sous tout rapport pour véritablement creuser quoi que ce soit, tant cette histoire le touche de trop près. Bien que compréhensible, cela manque d’intérêt si le spectateur n’a pas accès à toutes les perspectives ou si le protagoniste du film ne remet jamais en question sa propre implication (la base quoi…).

Au casting justement, François Civil (Les Trois Mousquetaires – D’Artagnan et Milady, En Corps, BAC Nord…) incarne le cliché du jeune professeur cool comme on en voit rarement ou jamais dans la vraie vie, mais l’écriture de son personnage finit par lasser tant il devient une sorte de Calimero chouineur parce que le monde lui en veut (ce qui le rend nettement moins agréable que d’habitude, qui plus est). Autour de lui, une nuée de seconds couteaux interchangeable pour incarner le proviseur désabusé et un florilège de collègues et d’élèves caricaturaux. Parmi eux, on retrouve ou découvre Agnès Hurstel, Shaïn Boumedine (Mektoub My Love, Placés…), Mallory Wanecque (Comme Un Prince…), Mustapha Abourachid (Yannick…), Francis Leplay (Les Goûts et les Couleurs…) ou encore un passage de Fadily Camara (Friendzone…), tandis que la jeune Leslie est interprétée par Toscane Duquesne.

En conclusion, si Pas De Vagues est inspiré de l’expérience personnelle du réalisateur, il semble surtout être le résultat de ses propres frustrations et d’un sentiment d’injustice non résolu. Cependant, en se concentrant sur ses propres excuses et en négligeant d’explorer le point de vue des autres personnages impliqués, Teddy Lussi-Modeste échoue à susciter l’empathie du public pour sa pleureuse principale. À tenter.

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