
Le pitch : En quête d’un nouveau départ, Millie accepte un poste de femme de ménage à demeure chez Nina et Andrew Winchester, un couple aussi riche qu’énigmatique. Ce qui s’annonce comme l’emploi idéal se transforme rapidement en un jeu dangereux, mêlant séduction, secrets et manipulations. Derrière les portes closes du manoir Winchester se cache un monde de faux-semblants et de révélations inattendues… Un tourbillon de suspense et de scandales qui vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière seconde.
Oui, je plaide coupable : j’ai lu La Femme de Ménage de Freida McFadden. Difficile de passer à côté de ce best-seller devenu phénomène, décliné en trilogie (voire davantage si l’on compte la nouvelle intercalée après la sortie du troisième tome). Quelque part entre le roman de gare assumé et le thriller sulfureux qui tente de s’inscrire dans la veine du célèbre Les Apparences de Gillian Flynn (aka Gone Girl version David Fincher), le livre joue avec les clichés de classe : riches abuseurs, employés invisibilisés, ennui bourgeois, héroïne fauchée et vulnérable… avant de s’amuser à dynamiter ces a-priori un par un.
Si l’écriture de McFadden reste mécanique, parfois lourde et loin d’être mémorable, le récit parvient malgré tout à surprendre, en proposant des twists et des révélations engageant. Une recette certes grossière, déjà usée un nombre incalculable de fois, mais suffisamment accrocheuse pour séduire des millions de lecteurs (peut-être plus précisément ceux qui n’ont jamais lu de thriller autres que ceux de Harlan Coben, mais bon, passons…). L’adaptation cinéma semblait donc inévitable.

Mais autour de La Femme de Ménage, le flou persiste. La bibliographie de Freida McFadden interroge autant qu’elle fascine : une production industrielle (17 romans depuis 2018 !?), des schémas narratifs recyclés à l’envi, des héroïnes souvent discutables, une communication réduite au strict minimum et une autrice quasi fantôme dont une seule photo circule. Une question s’impose vu les temps qui courent : vraie personne ou d’une intelligence artificielle promptée probablement par un homme, vue sa façon de narrer les femmes ? Le mystère reste entier autour de l’autrice et de ce film démoulé en moins d’un an, dans l’urgence de pouvoir capituler sur ce succès littéraire. Et pourtant, nouvelle incohérence : la sortie du film reste discrète, reléguée en plein milieu des fêtes, peu voire aucune d’avant-premières avec le casting, une presse globalement tiède et, pour couronner le tout, l’actrice principale est dans la tourmente.

Et pourtant, La Femme de Ménage existe bel et bien. À la réalisation, c’est Paul Feig qui récolte le cadeau, lui qui enchaîne juste après L’Ombre d’Emily 2 (ouch !). Disons-le franchement : ce n’est probablement pas cette année que le réalisateur de Spy, Mes Meilleures Amies ou Last Christmas redorera son blason ! Si vous avez lu et aimé le livre, vous retrouverez une adaptation globalement fidèle, à quelques ajustements près. En revanche, si comme moi vous aviez déjà trouvé le roman assez médiocre, le film s’avère tout aussi fidèle… à cette médiocrité. Le coté clé-en-main du récit ne réserve que peu de surprises, empilant mécaniquement les artifices attendus : choc des classes, tension sexuelle tiède, imagerie vaguement sulfureuse pensée pour flatter un fantasme très calibré. Les personnages débitent leurs répliques comme des automates, s’agitent comme des pantins sans âme qui s’animent quand ils sont actionnés, ce qui finit par donner au film une absurdité involontaire, mais bienvenue, qui le rend parfois drôle malgré lui. Bienvenue oui, car sans cette ambiance surfaite et gauche, l’expérience aurait été bien plus pénible !
Paradoxalement, les choix scénaristiques censés renforcer l’intrigue accentuent surtout ses failles, comme si le passage du papier à l’écran avait rendu les incohérences plus évidentes et les nombreux subterfuges plus criants… et souvent franchement ridicules.

Les spectateurs qui découvrent l’histoire sans connaître le livre pourront sans doute se laisser surprendre. Mais La Femme de Ménage arrive après une longue série de thrillers domestiques (Gone Girl, La Fille du Train, La Femme à la Fenêtre, Avant d’Aller Dormir… À l’Ombre d’Emily !) où les apparences trompeuses volent en éclats pour révéler une héroïne bien moins victime ni innocente qu’elle n’en a l’air. Le film de Paul Feig coche donc toutes les cases attendues de ce sous-genre devenu flemmard : une héroïne présentée comme une ingénue trop parfaite pour être innocente, toujours impeccablement maquillée pour faire le ménage, constamment moulée dans des tenues suggestives, histoire de ne laisser aucun doute sur la tentation à venir.
Autour d’elle gravitent des archétypes ambulants : l’épouse hystérisée, le mari mutique mais protecteur et un jardinier décoratif (bien moins présent que dans le livre, d’ailleurs). Le tout évolue dans des décors lisses, beiges, aseptisés, dignes d’un catalogue d’ameublement premium. On peut se laisser porter, comme devant un téléfilm de dimanche après-midi : ça se regarde, c’est propre, mais ça manque cruellement de personnalité. Les lecteurs pourront combler les vides avec leur imagination, les néophytes découvriront une histoire sans trop se poser de questions.

Divertissant par moments, certes. Marquant ? Absolument pas. La Femme de Ménage se délite dans une paresse confortable, surfant sur les tendances du moment : érotisme gentillet pendant que Ken et Barbie batifolent, ambitions de thriller low-cost, féminisme de façade aussi subtil qu’une porte blindée au Château de Versailles. Ceux qui ne se sont toujours pas remis de la fin de 50 Nuances de Grey y trouveront probablement leur compte, les spectateurs plus impressionnables aussi sans doute et au milieu, pas mal d’entre nous auront simplement perdu deux heures devant un nanar mou, souvent involontairement drôle et rarement surprenant, aux allures de pétard mouillé. (note de Dunnø : après, moi, j’ai été invitée, si vous payez pour ça, je n’y suis pour rien)
Reste une adaptation “honorable”, qui, comme le livre, laisse la porte ouverte à une suite. Mauvaise nouvelle cependant : si le premier tome parvenait encore à donner le change, le second, Les Secrets de La Femme de Ménage, est une pâle redite qui vient saboter le peu de sororité esquissée au départ.
Et ne me lancez même pas sur le troisième livre qui est tout simplement infâme, car plus on découvre Millie, plus l’envie de la bâillonner avant de la jeter au fond d’un puits se fait forte. Mais je m’égare…

Au casting : Sydney Sweeney (The White Lotus, Christy, Immaculée…) hérite du rôle de Millie. Agaçante à souhait, elle incarne avec une précision presque trop juste cette héroïne niaise, coincée dans un registre babydoll / poupée gonflable écervelée qui semble malheureusement taillé sur mesure pour elle. Autour d’elle, Brandon Sklenar (Drop Game, Jamais Plus…) a visiblement poussé beaucoup de fonte en préparation du rôle et travaillé ses expressions faciales, ce qui le rend moins amorphe que d’habitude, tandis que Michele Morrone (L’Ombre d’Emily 2…), l’espèce de gigolo grimaçant sorti de la poubelle nommée 365 Jours, voit la présence de son personnage si réduit que je soupçonne : soit des scènes coupées à cause de son jeu d’acteur en carton, soit un ajustement stratégique en vue d’une éventuelle suite qui effacerait l’évolution illogique du fameux jardinier [SPOILER] Dans le 1er livre, Enzo découvre la situation de Nina et reste d’abord pour garder un oeil sur elle, puis en tombe amoureux. Dans le second livre, il devient le chevalier servant de Millie, dont il tombera amoureux puis finira par épouser plus tard. Aucune transition par rapport à sa relation avec Nina après le premier bouquin ni de véritable rapprochement entre lui et Millie avant le second. [/SPOILER]
Finalement, seule Amanda Seyfried (La Rivière des Disparues, The Crowded Room, Mank…) tire son épingle du jeu. Longtemps cantonnée à des rôles misant sur sa beauté, elle semble aujourd’hui plus libre, plus joueuse, et parvient à donner de l’épaisseur à un personnage pourtant écrit à la truelle. Enfin, Elizabeth Perkins (Sharp Objects, L’Ombre d’Emily 2…) campe une matriarche digne d’un bestiaire de marâtres de contes de fées, sans grande nuance mais avec une certaine efficacité.
En conclusion, La Femme de Ménage est une adaptation certes honnête, mais aussi creuse, scolaire, niaise et impersonnelle que sa version papier, qui recycle sans audace les codes du thriller domestique contemporain. Paul Feig livre un divertissement formaté et anecdotique, parfois amusant malgré lui, mais qui repose malheureusement sur une base déjà branlante. À tenter… si vous n’avez rien d’autre à faire pendant les fêtes.

