Drame

[CRITIQUE] May December, de Todd Haynes

Le pitch : Pour préparer son nouveau rôle, une actrice célèbre vient rencontrer celle qu’elle va incarner à l’écran, dont la vie sentimentale a enflammé la presse à scandale et passionné le pays 20 ans plus tôt.

En anglais, l’expression « May December » est utilisée pour décrire un couple avec une grande différence d’âge (le mois de mai étant au beau milieu du printemps, décembre étant le début de l’hiver, soit une métaphore sur les étapes de la vie). Lorsque le film a été présenté au Festival de Cannes dernier, le réalisateur Todd Haynes (Dark Waters, Le Musée des Merveilles, Carol, I’m Not There…) a plaisanté en disant qu’en France, cela s’appelait « une Macron » – en référence entre la grande différence d’âge entre Emmanuel Macron et son épouse, Brigitte. En regardant le film, difficile de ne pas y penser ! Autre « coïncidence » c’est que le film May December est largement inspiré par l’histoire de Mary Kay Letourneau, cette institutrice américaine qui a eu une romance avec Vili Fualaau, un élève de douze ans (pas douze ans de moins, mais bien douze ans d’âge !) – rappelant aussi le fait que Brigitte Macron était la professeure de son futur époux quand ils se sont rencontrés. Yuk.

Outre-atlantique, ce fait divers a secoué les médias dès 1997 : Mary Kay Letourneau a fait d’abord fait six mois de prison pour délinquance sexuelle, puis a violé sa probation en tombant enceinte de l’adolescence et est retourné en prison pendant sept ans et demi. Dès sa sortie, les deux amants se sont mariés et ont élevé leurs enfants ensemble, avant de se séparer en 2019. Tristement, Mary Kay Letourneau est décédée en 2020 des suites d’un cancer. Véritable amour ou prédation sexuelle ? C’est la question à laquelle le film de Todd Haynes tente de répondre, en transposant cette affaire à travers le regard neuf d’une actrice hollywoodienne, alors qu’elle s’immisce dans cette famille peu ordinaire afin de préparer un rôle.

Pourtant, le thème de la différence d’âge n’est pas nouveau dans le cinéma. Des œuvres telles que Lolita de Stanley Kubrick (1962) et Le Lauréat de Mick Nichols (1967) ont déjà exploré ces romances controversées en raison de la disparité d’âge de leurs protagonistes. Ce qui distingue May December, c’est que l’histoire ce situe longtemps après le scandale, allant à la rencontre de cette famille en apparence solide et résiliente, tant elle semble avoir fait la paix avec son passé. Le conte de fées semble émerger de ses racines sordides, enveloppé dans un décor bourgeois, souriant et solaire, souligné par la photographie granuleuse de Todd Haynes. Est-ce que derrière le détournement de mineur y aurait-il la possibilité d’un amour véritable et sincère ? Derrière cette carte postale ensoleillée, « May December » égratigne lentement mais surement une surface faussement parfaite pour dévoiler progressivement des détails un peu plus perturbants.

J’ai bien aimé la façon dont le film utilise le personnage de l’actrice pour dégrossir l’histoire, révélant un passé dont les conséquences sont toujours présentes, d’abord en se concentrant sur la dynamique familiale – clairement matriarcale, avant d’aller à la rencontre d’une communauté toujours sous le coup du scandale. De petites remarques faussement anodines à la parade permanente devant tous ceux qui ont été touchés de près ou de loin par cette histoire, May December transforme l’image d’un bel amour sans âge en un portrait insidieux, qui observe à la loupe une forme d’emprise qu’on aurait voulu ne pas voir. En marquant au fer rouge la différence d’âge entre les deux amants, le film de Todd Haynes mais en évidence la part d’égoïsme et de narcissisme qui vient ternir l’image bienheureuse de cette famille atypique. May December questionne en filigrane la nature des sentiments de ses personnages, quelque part entre manipulation évidente et fragilité mentale. Si le couple a survécu les années et un passage en prison, la réalité est moins romanesque alors que l’influence du personnage de Julianne Moore sur son entourage devient de plus en plus dérangeante, voir malsaine.

Du drame sulfureux, Todd Haynes tire des personnages en apnée, pris au piège dans une toile invisible, ou peut-être ferment-ils délibérément les yeux pour éviter de faire face à la vérité. « May December » devient encore plus fascinant lorsqu’il s’éloigne de la sphère familiale pour observer l’impact de cette romance interdite sur toute une communauté. Les effluves provocantes du scandale ajoutent une dimension nébuleuse au récit feutré qui se déroule lentement, révélant également une pointe d’ironie teintée de sado-masochisme certains (le couple aurait certainement pu s’installer ailleurs, mais a choisi de rester dans la même ville, s’affichant ainsi devant tous ceux ayant été témoins ou victimes de leur affaire).

D’ailleurs, les silences sont souvent plus parlants que les dialogues : des regards lourds de sous-entendus aux pauses interloquées, May December navigue dans un écran de malaise de plus en plus palpable alors que la réalité transpire en filigrane du voile mensonger qui plane autour de cette famille apparemment bienheureuse. Le point de vue du réalisateur se veut faussement impartial, mais il est difficile d’ignorer la bande originale qui accompagne May December : le thème composé par Michel Legrand en 1971 s’avère être le générique de l’émission « Faites Entrer l’Accusé » ! Encore une coïncidence ? Je ne le pense pas. Le cinéma de Todd Haynes affectionne les sous-entendus et les plans symboliques, présents ici avec la musique, certes, mais également avec les jeux de miroirs et autres surfaces réfléchissantes. Entre invitations au voyeurisme et imitations, le réalisateur joue avec les points de vue et les personnages, offrant une photographie d’ensemble immersive et souvent déroutante, encore plus évidente quand l’apparence des personnages féminins finit par se ressembler de manière troublante.

Globalement, une fois la surface sulfureuse dépiautée, j’ai trouvé May December captivant. L’intrigue se déroule lentement mais attise et comble la curiosité presque intrusive du spectateur, tandis que le casting principal est tout simplement formidable. Julianne Moore (Sharper, La Femme à la Fenêtre, Gloria Bell…) retrouve Todd Haynes pour la cinquième fois et donne vie à un personnage à la fois vénéneux et fragile qui envoûte dès sa première apparition. Face à elle, Natalie Portman (Thor: Love and Thunder, Vox Lux, Song to Song…) incarne une actrice renommée, un poil hautaine, qui se laisse prendre (et se perd) au jeu de l’imitation. Autour d’elle, Charles Melton (Riverdale, American Horror Stories, Bad Boys For Life…) m’a surprise tant je ne m’attendais pas à être aussi touchée par son personnage de grand enfant paumé par les choix qu’il a fait (ou subi).

En conclusion, Todd Haynes livre un film entêtant, porté par un trio qui se croise dans un théâtre fascinant de faux-semblants et d’apparences. Le bonheur bourgeois mue en oppositions fracassantes, May December oscille entre la manipulation des uns et la fragilité des autresn dans une histoire aux accents réels qui vient questionner la morale. Une telle histoire d’amour peut-être réellement exister sans une forme d’emprise ? Rien est moins sûr. À voir.

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