
Le pitch : Alors qu’ils cherchent à s’affranchir d’un lourd passé, deux frères jumeaux reviennent dans leur ville natale pour repartir à zéro. Mais ils comprennent qu’une puissance maléfique bien plus redoutable guette leur retour avec impatience…
Avec Sinners, Ryan Coogler continue de creuser son sillon : celui d’un cinéma à la fois populaire et profondément politique, ancré dans l’identité afro-américaine. Révélé au grand public grâce aux films Creed et Black Panther, le réalisateur retrouve son acteur fétiche, Michael B. Jordan.
À la surprise générale, Ryan Coogler s’aventure dans le film de genre fantastique avec un sujet bien connu — le vampire — pour en faire un objet à la fois sensoriel, historique et symbolique. Et le résultat, s’il peut parfois dérouter par sa forme et sa densité, se révèle fascinant de bout en bout. Jordan Peele a semble-t-il trouver un nouveau partenaire de jeu !

Sinners s’impose d’emblée par son atmosphère directement puisée dans l’Amérique des années 30 : moite, dangereuse, communautaire mais également envoûtante, presque hypnotique. Dès le début, on est happé par une ambiance musicale omniprésente — blues lancinant, mélange de textes puissants et de modernité — qui joue un rôle aussi important que les dialogues. La mise en scène prend son temps, installe ses personnages, son décor, ses tensions, dans une approche quasi organique. Même si quelques rares jumpscares font parfois sursauter, on oublierait presque l’autre pendant horrifique du film. Avec Ryan Coogler, Sinners propose une infusion lente et fascinante, donnant envie d’être transporter de l’autre côté de l’écran.

Mais ce calme apparent cache une montée en puissance redoutable. Lorsque la menace surgit, elle bouleverse le récit. L’horreur prend le relais du drame, sans jamais renier la charge politique et historique. Car Sinners est traversé par des thématiques puissantes, de la mémoire coloniale à l’héritage spirituel aux accents afro, haïtiennes et afro-américaines, en passant par des traumas raciaux et familiaux encore présent. Si l’ombre du KKK plane en sous-intrigue, Sinners porte le souvenir de blessures palpables, qu’on devine à demi-mots, ce qui vient accentuer le contexte (violence, ségrégation, prohibition…). Grâce à une écriture impeccable, le surnaturel agit comme une métaphore bien trouvée, notamment grâce à un antagoniste dont les origines irlandaises font également l’objet d’un sous-texte percutant.

L’horreur est présente, mais elle est surtout messagère. Les inspirations et les réferences autour de Sinners sont multiples, on pense au Evil Dead de Sam Raim ou encore à Une Nuit En Enfer de Quentin Tarantino. Mais Ryan Coogler vise l' »elevated horror » (le nouveau genre d’horreur où on retrouve les films de Jordan Peele, mais aussi Ari Aster ou Robert Eggers par exemple) en puisant dans la blacksploitation où on peut même trouver des clins d’oeil aux films de séries B comme Bones, le fameux film de vampires avec Snoop Dogg.

Mais Sinners reste singulier, porté par la patte de Ryan Coogler : un regard noir sur l’Amérique noire. Les dialogues, la photographie, la direction d’acteurs, tout respire une identité forte, assumée, rare dans le paysage du film de genre. À ce titre, la présence de personnages noirs complexes, profonds, non stéréotypés, est une respiration bienvenue — et nécessaire.

Avec son parti pris installatoire, Ryan Coogler prend le risque de voir Sinners être accusé de trop de lenteurs, et son ambition peut donner une impression d’éparpillement. Mais il faut saluer cette audace et son refus de céder à la hâte demonstrative. Sinners n’est pas un film de plus sur les vampires : c’est une relecture ancrée dans une histoire collective trop souvent occultée, une œuvre inclusive et sensorielle qui laisse une empreinte durable. Et pour une fois, en tant que spectatrice racisée, je me suis sentie représentée, impliquée, concernée. Un film de vampires où les héros sont noirs, où leur culture n’est pas juste un décor, mais le cœur du récit… franchement, c’est rare. Et c’est précieux.

Au casting : Michael B. Jordan (Creed 3, Black Panther: Wakanda Forever, La Voie de la Justice…) joue double, avec classe et un charisme désarmant. Autour de lui, on retrouve Hailee Stenfield (Spider-Man Across The Spider-Verse, Bumblebee, Hawkeye…) et Wunmi Mosaku (Deadpool & Wolverine, Loki, Alice, Darling…), deux figures féminines fortes, tandis que Li Jun Li (Babylon, Evil…), Delroy Lindo (Da 5 Blood, The Good Fight…) ou encore Omar Benson Miller (Les Derniers Jours de Ptolemy Grey, Ballers…) étoffent un casting solide. On découvre aussi Miles Caton, qui fait des premiers pas remarqués sur grand écran, tandis que Jack O’Connell (Back To Black, Ferrari…) est, comme souvent, fabuleux en antagoniste principal.
En conclusion, Sinners est un film audacieux et habité, qui donne envie de croire encore à un cinéma de genre original et intelligent. Ryan Coogler signe un petit bijou, certes un poil communautaire, mais qui permet d’aborder des sujets de fond sans céder à la facilité du drama. Vibrant et viscéral, portée par une bande-originale électrisante, Sinners reste en tête longtemps après le générique. À voir !

