Action, Épouvante-horreur

[CRITIQUE] The Crow, de Rupert Sanders

Le pitch : Eric et sa fiancée Shelly sont sauvagement assassinés par un gang de criminels. Mais une force mystérieuse ramène Eric d’entre les morts, qui, doté de pouvoirs surnaturels, entreprend de se venger pour sauver son véritable amour.

Quand on parle de The Crow, on pense surtout au film, devenu culte, de 1994 réalisé par Alex Proyas, marqué par le décès accidentel de son acteur principal, Brandon Lee, sur le tournage de film. Avant d’être une des histoires de tournages maudits que se partagent les réalisateurs (et aspirants réalisateurs) au coin du feu les soirs de pleine lune, The Crow est avant tout l’adaptation d’un comics créé par James O’Barr en 1989. Inspiré par le décès tragique de sa petite amie, l’auteur a développé le personnage de The Crow, cet esprit vengeur dont l’âme ne parvient pas à reposer suite à la mort violente et injuste d’un être cher. Dessinés en noir et blanc, les comics sont adaptés dans une mouvance gothique qui a immédiatement su trouver son public à l’époque où le rock et surtout métal symphonique (ou doom/dark metal) commençait à avoir le vent en poupe (avouons-le).

Porté par les fans du comics, puis sublimé par la tragédie terriblement ironique autour de la mort de Brandon Lee (fils de Bruce Lee), le premier film The Crow est instantanément devenu une œuvre culte, marquée par la mort puis, surtout, des suites et autres adaptations ratées. Les corbeaux se suivent et perdent en panache. Mark Dacascos reprend le rôle dans une série qui tiendra deux saisons, puis Vincent Pérez incarnera un nouveau The Crow dans le film éponyme et sous-titré La Cité des Anges en 1996. Viendront ensuite deux téléfilms en 2000 et 2005, tombés dans l’oubli d’une part à cause de leurs médiocrités, mais aussi parce que la mode gothique avait cédé la place aux teen horror movie et/ou aux films de vampires. En 2008, Stephen Norrington, le réalisateur du premier Blade, annonce vouloir revisiter The Crow au cinéma, mais tout bon film maudit qui se respecte, il faudra des années et beaucoup de changements de réalisateurs (F. Javier Gutiérrez, Juan Carlos Fresnadillo, Corin Hardy…) et d’acteurs (Bradley Cooper, Tom Hiddleston, Luke Evans, Jack Huston, Nicholas Hoult, Jack O’Connell et même Jason Momoa…) avant qu’Eric Draven reprenne officiellement du service.

C’est donc trente ans après le premier film – et beaucoup, beaucoup de péripéties en coulisses – que The Crow déploie à nouveau ses ailes sur le grand écran, réalisé par Rupert Sanders (Blanche-Neige et le Chasseur, Ghost In The Shell…) et incarné par le très suédois Bill Skarsgård, habitué aux personnages au maquillage discutable.
Pour le public qui découvrira The Crow sans avoir vu ni connu les matériaux originaux, cette version fait relativement le job si on le considère comme un film d’action estival, bien décidé à faire valoir son interdiction au moins de 12 ans en faisant dans la mise à mort graphique et explicite. Malgré un storytelling relativement simple, The Crow fait durer son installation autour de la rencontre entre ses deux personnages principaux, qu’il dépeint comme deux âmes brisées, accros à la drogue et visiblement co-dépendants.

Cependant, le film de Rupert Sanders est si occupé à tenter de nous faire croire à cette romance que rien ne peut détruire, qu’il oublie légèrement de faire une introduction solide de ses personnages. Ainsi, tout ce qu’on saura du nouveau Eric Draven c’est qu’il a vécu une mauvaise expérience dans une version alternative de L’Histoire Sans Fin (RIP Artax). L’accent est bien plus mis sur sa partenaire et leur romance pour attendrir le spectateur, mais le temps se fait long, l’horloge tourne et pour un film aussi court, l’ensemble tarde à passer la seconde. Sachant qu’il s’agit à la fois d’un film de vengeance et d’un remake, je ne suis pas sûre que s’attarder autant sur une histoire d’amour installée aux forceps ait été une bonne idée. Maibon.

Une fois le tour de passe-passe effectué, The Crow se lance dans sa chasse à l’homme vengeresse, alors que le héros découvre ses nouvelles capacités tout en s’enfonçant dans sa propre noirceur. Face à des méchants cartoonesques et sur fond de pacte diabolique, le film de Rupert Sanders avance dans un parcours balisé, empreint de violence gratuite, d’eye-liner dégoulinant et de dialogue d’installations pour guider le fond de la salle. The Crow coche les cases attendues, mais étant un remake d’un film vieux de trente ans, l’ensemble ne parvient pas à renouveler le genre et se présente comme un énième actionner lambda dont la seule particularité du héros est de ressembler à une version émo (mais quand même bien fichue) de Pennywise.

On est donc loin du vent de fraicheur que soufflait le film d’Alex Proyas sur les films d’action à l’époque. Les fans de The Crow resteront sur leurs faims, mais peut-être que la nouvelle génération parviendra à trouver ses marques. En effet, après Deadpool & Wolverine, The Crow s’ajoute à la lignée des films mainstream qui flirtent avec le rated-R, offrant des séquences sanglantes et graphiques, où du méchant se fait tuer avec beaucoup d’imagination. C’est probablement les vingt dernières minutes du film qui m’ont sorti de mon ennui profond, alors que le héros se lance dans une tuerie spectaculaire. Mais là encore, difficile de complètement s’immerger dans l’action, tant le film laisse passer des illogismes béants dans le déroulé de son scénario pourtant simple. Perso, je n’ai jamais assisté à un opéra (sic), mais je me demande à quel niveau de décibels se joue une pièce pour que personne dans l’audience n’entende l’interminable fusillade qui se déroule en coulisses ?

À l’image de ses films précédents, Rupert Sanders revisite un classique avec un cahier des charges bien trop rodé pour être intéressant. Tous les critères obligatoires sont réunis : les décors sombres, le long manteau en cuir, les tatouages et les muscles, la romance passionnée, la tragédie… Et pourtant, il manque des ingrédients élémentaires pour éviter à ce film de n’être qu’un remâchage : à savoir de l’imagination et surtout la personnalisation de l’ensemble. Rupert Sanders régurgite une pâle copie qui manque de saveur et la plastique alléchante de son acteur principal ne suffit pas à masquer les lacunes de The Crow. Le film fait l’effet d’une marionnette aux ficelles visibles qui s’agite avec bien trop de véhémence pour finalement se conclure de manière aussi téléphonée. The Crow fait le job, mais, mais se limite à de la redite sans effort. 30 ans plus tard, j’aurai aimé en voir plus que des mines patibulaires et un look de clown triste.

Au casting, Bill Skarsgård (Boy Kills World, John Wick : Chapitre 4, Les Éternels…) continue de faire des choix risqués et aurait pu, avec une meilleure écriture, incarner une version de The Crow plus intéressante (pourquoi pas un poil plus creepy ?). Heureusement (si on aime son style), le fait qu’il soit torse nu pendant la moitié du film aide à passer le temps. À ses cotés, la chanteuse FKA Twigs fait ses premiers vrais pas sur grand écran et si la direction artistique évanescente de son personnage apporte un jolie contraste avec la noirceur de l’ensemble, j’ai l’impression que le choix de l’actrice dans ce rôle aurait pu être un mannequin sans visage (bien que celui de FKA Twigs soit tout à fait joli). Autour d’eux, on retrouve Danny Huston (Wonder Woman, Game Night, Jusqu’au Bout Du Monde…), l’homme à qui on refile tous les rôles de méchants de pacotille depuis que Ciarán Hinds est devenu trop vieux pour ces conneries, tandis que Josette Simon (Halo, Sacrées Sorcières…), Laura Birn (The Innocents, Eden…) et Sami Bouajila (Les Papillons Noirs, Rouge…) hantent un ensemble interchangeable.

En conclusion : faute de projet original, Rupert Sanders revisite à nouveau une énième adaptation, sans pour autant parvenir à se l’approprier. The Crow remâche les codes du comics, de la noirceur aux corbeaux inquisiteurs, en passant par de la violence brute. En tant que tel, l’ensemble reste un film estival tout juste correct qui accuse tout de même de sacrées longueurs. Pour les fans des comics et/ou du film d’Alex Proyas, c’est une revisite bien triste, qui manque cruellement de profondeur et d’innovation, offrant une relecture fade et peu mémorable de ce classique culte. À tenter.

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