Marvel Studios ose une sortie de route audacieuse et, sous la houlette de Chloé Zhao, livre un film différent visant le drame et l’émotion dans une atmosphère fataliste. Loin de l’esbroufe d’un film Avengers, Les Éternels propose une origin story sur des héros méconnus et parvient à la rendre accessible, certes dans un récit un poil trop long mais réhaussé par une esthétique superbe et des promesses alléchantes pour la suite.
Le pitch : Depuis l’aube de l’humanité, Les Éternels, un groupe de héros venus des confins de l’univers, protègent la Terre. Lorsque les Déviants, des créatures monstrueuses que l’on croyait disparues depuis longtemps, réapparaissent mystérieusement, Les Éternels sont à nouveau obligés de se réunir pour défendre l’humanité…
Seulement huit semaines après la sortie de Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux et tout juste quelques mois après avoir été sacrée Meilleure réalisatrice aux Oscar 2021, Chloé Zhao (Nomadland, The Rider…) revient avec Les Éternels, un pari fou estampillé Marvel Studios.
Alors que le public est maintenant familiarisé avec un certain modèle des films de super-héros, Les Éternels vient remettre les compteurs à zéro avec un film plus axé sur le storytelling et les émotions, à travers une origin story destinée à faire découvrir des personnages issus de l’univers cosmique des comics Marvel. Si les Célestes ont rapidement été sous-entendus dans Les Gardiens de la Galaxie Vol.1 (le lieu Knowhere est dans la tête d’un Céleste, pour rappel), le film de Chloé Zhao sert de porte d’entrée vers les origines des (multi)univers Marvel, en parallèle avec la série What If, elle-même servant d’installation pour l’inclusion de personnages importants et régisseurs des différents mondes explorés, connus ou à découvrir.
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Mais avant d’entrer dans le détail, que vaut donc Les Éternels, déjà décrié par la critique US ? À l’arrivée, Chloé Zhao livre un film intéressant, riche et accrocheur, alors qu’on découvre peu à peu le parcours des Éternels aux cotés des humains à travers l’histoire de l’Humanité, ainsi que leurs relations et autres motivations. Si les flashbacks arrivent parfois comme un cheveux sur la soupe, Les Éternels parvient à conserver une vision à hauteur humaine alors que ses personnages sont quasiment tout puissants. On est donc loin de l’image gigantesque des Célestes dominant le monde, le film semble plutôt vouloir les intégrer à l’image d’un autre groupe type Avengers dans le MCU. Sauf qu’ici, le film choisit une tonalité plus sombre et proche de l’apocalypse. Derrière un message humaniste (voir écologique), Les Éternels suit les conséquences d’Avengers – Endgame dans ce qui semble être une aparté, mais offre surtout une vision du monde plus sombre, qui expliquerait finalement pourquoi l’intrigue est autant tournée vers les relations entre les personnages. En effet, si fin du monde il y a, autant se focaliser sur l’essentiel… à savoir l’amour et la famille ? Malgré ses atours plus intimistes, le film de Chloé Zhao a beau être à part et moins blockbusterien que d’autres films du MCU, l’empreinte finale reste la même.
Le point fort du film de Chloé Zhao est, à mon avis, son esthétique. Alors que j’avais trouvé Nomadland un peu ronflant malgré ses superbes décors naturels, l’imagerie du film Les Éternels est à la fois lumineuse et soignée, renforçant à la fois le caractère mystiques de ses personnages tout en proposant de superbes scènes à couper le souffle. C’est sûr qu’après un Venom 2 nocturne et fouillis, Les Éternels fait l’effet d’une lumière flamboyante au bout d’un tunnel hanté par des CGI brouillons ! Les Éternels est fait pour être vu sur grand écran, grâce à ses nombreux plans fascinants qui donnent une certaine élégance et sobriété au film, contrastant avec le registre super-héroïque dans lequel il s’installe. Les plus assidus reconnaîtront également la passion de la réalisatrice pour les mangas et les ambiances westerns à travers quelques références ça et là, tandis que certains personnages font ouvertement du pied à la concurrence (rameau d’olivier ou balle réelle ? l’avenir nous le dira).
En parallèle, Les Éternels est sublimé par une bande originale signée par Ramin Djawadi, le compositeur de nombreux morceaux de la série Game Of Thrones, ce qui vient renforcer l’atmosphère fataliste qui pèse sur le film, où la magnifique chanson de Skeeter Davis, The End of The World, ajoute une pointe de mélancolie au tableau général.
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Coté scénario, Chloé Zhao, épaulée par Patrick Burleigh, Matthew K. Firpo et Ryan Firpo (et bien sûr supervisée par Kevin Feige quelque part), réussit à introduire ses nouveaux personnages dans un récit fluide et qui sort un peu des parcours usuels. Ici, pas de cerveau prodige qui construit une armure, pas d’expérience scientifique ni de morsure de bestioles à huit pattes : Les Éternels vise plus haut et entame une vision plus globale et méconnue de l’univers Marvel, à travers ces nouvelles entités quasi-divines. Contrairement aux dernières origins stories (Shang-Chi, Captain Marvel, Black Panther ou encore Doctor Strange et les Gardiens de la Galaxie…), le dernier-né Marvel Studios mise nettement moins sur l’esbroufe et l’action, préférant accentuer le pendant dramatique l’histoire. Une vision qui peut décontenancer quand on voit le résultat final, car s’il y a évidemment les ingrédients phares de Marvel Studios (action et humour, à moindre dose cette fois), le récit a tendance à piétiner ce qui donne un film de 2h37 – soit le deuxième plus long film du MCU.
C’est un des bémols majeurs du film : si l’intrigue est intéressante, Les Éternels s’avère plutôt longuet et prend aux dépourvu en s’attardant autant sur les amourettes de ses personnages. Si d’un coté, Marvel Studios ose pour la première fois des images explicites et LGBT friendly dans un film tout public (bravo pour cette audace !) ; de l’autre coté, on pourrait se demander si c’était une bonne idée d’aller dans ce sens (en terme d’installation, bien sûr). De plus, le recours aux flashbacks a tendance à rompre la lecture du film car parfois, certaines scènes sont incrustées de manière maladroite et, avouons-le, il y a quelques problèmes d’écriture qui m’ont fait tiquer par rapport à la cohérence autour de l’insert des Éternels dans notre histoire et sa crédibilité (âge de pierre vs magie).
Pour ma part, malgré la longueur du film, j’ai apprécié de voir des personnages plus creusés car cela était nécessaire à la fois pour présenter les personnages, mais également pour les rendre plus consistants et éviter d’avoir l’impression qu’ils ont été créé ou ajouté à la trame du MCU hâtivement. En effet, les lecteurs de comics savent que Les Éternels et les Célestes ont leurs propres aventures papiers mais sont parfois intervenus dans des conflits plus terre-à-terre, ce qui explique finalement le coté unique du film qui, jusqu’à présent, n’est pas amené à avoir une suite. Cependant, c’était un risque à prendre depuis le temps que les détracteurs des Marvel reprochent le manque de storytelling approfondi dans le MCU… Est-ce vraiment ce que les fans attendent d’un Marvel Studio ? Pas sûr. Ou alors ce sont les personnages cosmiques qui ne prennent pas (souvenez-vous la série Inhumains de Marvel Televisions) ?
Toujours est-il que Les Éternels se raconte volontairement comme un standalone movie et pour cause : nombre d’easter eggs, de références et d’événements qui apparaissent dans le film (et ses scènes bonus) laissent à penser que le film de Chloé Zhao s’inscrit comme un premier pas vers une nouvelle phase plus conséquente et qui influencera bon nombre de prochains films, et ça, quoiqu’on puisse penser du film Les Éternels, on a hâte !
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Au casting, Chloé Zhao est bien entourée et on a rarement vu un casting aussi inclusif dans un film au budget XXL : déjà initié aux MCU, Gemma Chan (Captain Marvel, La Grande Traversée, Raya et le Dernier Dragon…) troque son maquillage bleu pour un look plus naturel et porte le film aux cotés d’un Richard Madden (Game of Thrones, 1917, Rocketman…) charismatique. En parlant de charisme, on retrouve également la fabuleuse (en toute objectivité hin) Angelina Jolie (Maléfique : Le Pouvoir du Mal, Merveilles Imaginaires, D’abord Ils Ont Tué Mon Père…) et la superbe Salma Hayek (Hitman and Bodyguard 2, Lady Business, Sausage Party…), deux actrices excellentes qui campent deux rôles complémentaires et opposés, entourées par trois partenaires masculins attachants : Kumail Nanjiani (Men In Black International…), Don Lee (Dernier Train pour Busan…) et Brian Tyree Henry (Godzilla vs Kong…). Un poil plus au second plan, Barry Keoghan (Chernobyl…), Lia McHugh (Songbird…) et l’actrice sourde et muette Lauren Ridloff (Sound of Metal…) animent un ensemble pluriel où chacun parvient à trouver sa place et son moment décisif en cours de route.
Autour des Éternels, on reconnaîtra également Kit Harington (Dragons 3 : Le Monde Caché…), un autre transfuge de Game of Thrones, dont la présence prendra tout son sens (ou pas) au moment où on s’y attend le moins. D’autres surprises sont prévues au casting donc une qui, à l’heure où j’écris cette article n’a toujours pas été dévoilée – j’ai même assisté à une conférence de presse avec Chloé Zhao où une fameuse question a été posée et les autorités « marveliennes » se sont un peu agitées 😀 On en reparlera plus tard.
En conclusion : différent, long mais tout de même beau et conquérant, Les Éternels s’inscrit comme une aparté dans le modèle MCU à travers la réalisation et la co-écriture de Chloé Zhao. Plus intimiste mais visuellement superbe, Les Éternels reste un film audacieux et ambitieux, qui déroutera probablement le public en quête d’un succédané d’Avengers (et ravira les détracteurs en cas d’un box office mitigé). Mais en y regardant de plus près, Les Éternels est un film en réalité un film bien plus dense qu’il n’y parait et riche en possibilités pour la suite, comme s’il faisait office d’un interlude dans le MCU. À voir, évidemment (dans une salle confortable).
PS : il y a deux scènes bonus dans le générique final. On en reparle ici 🙂