Papy Eastwood s’adoucit le temps d’un film avec La Mule, l’histoire vraie d’un homme âgé qui fera passer de la drogue pour un cartel. Pour son nouveau film, Clint Eastwood se calque visiblement sur son fabuleux Gran Torino à travers un personnage attachant, malgré ses travers, et qui trouve le chemin de la rédemption en prenant des risques inconsidérés tout en renouant avec les siens. La Mule oscille entre le danger palpable de l’intrigue et la légèreté bonhomme mais communicative de son héros old school qui parvient à percer la carapace de ceux qui l’entourent. Néanmoins, Clint Eastwood signe un drame un chouilla trop lisse pour être suffisamment crédible. Sympathique et touchant, mais peu clairement mieux faire.
Le pitch : À plus de 80 ans, Earl Stone est aux abois. Il est non seulement fauché et seul, mais son entreprise risque d’être saisie. Il accepte alors un boulot qui – en apparence – ne lui demande que de faire le chauffeur. Sauf que, sans le savoir, il s’est engagé à être passeur de drogue pour un cartel mexicain. Extrêmement performant, il transporte des cargaisons de plus en plus importantes. Ce qui pousse les chefs du cartel, toujours méfiants, à lui imposer un « supérieur » chargé de le surveiller. Mais ils ne sont pas les seuls à s’intéresser à lui : l’agent de la DEA Colin Bates est plus qu’intrigué par cette nouvelle « mule ». Entre la police, les hommes de main du cartel et les fantômes du passé menaçant de le rattraper, Earl est désormais lancé dans une vertigineuse course contre la montre…
Cela faisait quelques temps que je n’avais pas retrouvé Clint Eastwood sur grand écran : depuis American Sniper, en fait. L’acteur iconique de westerns, devenu réalisateur depuis les années 70, a souvent pris des routes surprenantes dans ses choix de films. D’Impitoyable à Gran Torino, en passant par Sur La Route de Madison, Mystic River, Millions Dollar Baby, Mémoires de Nos Pères ou encore L’Échange, Clint Eastwood a cumulé des succès percutants qui ont marqué sa carrière et nos mémoires. Pour ma part, Gran Torino reste à ce jour mon film favori. Mais début des années 2010, entre politique et opinions personnelles, le réalisateur a perdu de sa finesse habilement abrupte : J. Edgar, American Sniper ou le plus récent (et gênant) Le 15h17 Pour Paris ont été les témoins de son cinéma un poil trop patriotique, conservateur et surtout dérangeant.
Avec La Mule, Clint Eastwood s’offre un nouveau départ en adaptant une histoire vraie, issue d’un article paru dans le New York Times Magazine, qui raconte l’histoire d’un vieil homme devenu, d’abord malgré lui puis consciemment, une mule (transporteur de drogue) pour un cartel. Devant et derrière la caméra, Clint Eastwood retrouve son poulain Bradley Cooper (dont il a produit A Star Is Born). Entre road trip sur le chemin du pardon et drame aux accents parfois gangsters, La Mule est un melting-pot rafraîchissant qui fait l’effet d’une bouffée d’air frais dans le cinéma devenu poussiéreux et gris du réalisateur de Million Dollar Baby. En effet, dès les premières minutes, l’acteur nous accueille avec le sourire (ce qui, avouons-le, est un peu flippant) et peint le portrait d’un homme aimable et passionné par son métier avant de dévoiler sa face obscure : celle d’un homme qui a profondément déçu et délaissé sa famille. Une introduction rapide qui permet de dresser un tableau suffisant pour comprendre les intentions du héros, à travers ses débuts naïfs quand il rencontre les membres du cartel.
Le personnage principal est présenté comme un vieux grigou pur jus américain, un vétéran qui a déjà vu pire qu’une bande de gamins armés, ce qui le rend attachant et perspicace. Là où son alter ego dans Gran Torino refusait le contact et était constamment dans l’attaque, le héros de La Mule Clint Eastwood explore une facette plus accessible et avenante d’emblée. D’ailleurs, l’évolution des interactions entre ce vieil homme et les personnages qui l’entourent rend l’ensemble aussi sympathique, permettant des moments de respiration alors que la trame s’assombrit de plus en plus. En effet, c’est en penchant sur ses actions et ses relations dans le présent que La Mule réfléchit sur les actes liés au passé, mettant en parallèle sa capacité à se faire apprécié de gangsters patibulaires alors que celle avec ses proches bat de l’aile. Le film (et Clint Eastwood ?) semble demander pardon et utilise le « travail » répréhensible et dangereux de son héros pour recoller les morceaux. Par conséquent, le ton oscille souvent d’une émotion à l’autre, d’un coté en alourdissant la tension à travers la présence de plus en plus menaçante du cartel et de l’autre en célébrant les moments importants d’une vie de famille trop longtemps reléguée au second plan.
Ajoutant à cela une sous-intrigue policière et le film de Clint Eastwood s’inscrit également comme un drame polarisé dont l’intérêt va résider dans le dénouement final. Et c’est malheureusement là que le film m’a un poil déçu. En effet, plus La Mule avance et plus le climat s’assombrit : le film est marqué par des pertes redoutées et des risques de plus en plus présents qui, malgré la ténacité du héros, finissent par le rendre faillible. Pourtant, l’histoire bat en retrait quand il s’agit de récolter ce qu’elle a semé tout du long. Trop pétri par sa volonté d’offrir une sorte de happy-end et même si l’âge du personnage de Clint Eastwood explique beaucoup de choses, j’ai trouvé que les répercussions de l’histoire étaient bien trop légères. Une fois l’histoire principale bouclée, j’aurai voulu que le film termine ses autres intrigues, familiale et policière, mais La Mule préfère se contenter de sa conclusion gentillette et poétique qui détonne finalement avec cette aventure incroyable.
Présenté comme le nouveau Gran Torino, Clint Eastwood reprend en effet les codes de son dernier succès mais ne parvient pas à faire renaître le même sentiment de gravité ni de profondeur à travers ses personnages trop édulcorés, parfois interchangeables et sans réel impact sur l’ensemble, en dehors du personnage principal. Cependant, s’il y a bien une chose que La Mule réussit à merveille, c’est la façon dont le film parvient à provoquer le sourire en faisant tomber les masques de ses protagonistes. Derrière les grosses baraques armées, on découvre petit à petit des hommes (presque des gamins, même) s’adoucissent et s’humanisent au contact de papy Eastwood, tandis que ce dernier incarne un personnage diamétralement opposé aux figures caricaturales qu’il a pu incarner depuis Million Dollar Baby.
Si le réalisateur tente de tourner la page sur ces derniers films trop politisés et controversés, c’est chose faite. La Mule a un côté inattendu et chaleureux, notamment à travers le traitement de ses personnages : j’attendais un drame tendu et je découvre de l’émotion sous des apparences froides, voire menaçantes. Ceci étant dit, l’acidité et la noirceur qu’il proposait auparavant manquent quelque peu à l’appel, transformant La Mule en un récit sympathique, parfois haletant mais globalement superficiel.
Au casting : Clint Eastwood abandonne son sempiternel air aigri pour incarner un personnage plus affable, ce qui rend le film plus léger et accessible car on accroche rapidement à ce papy à la répartie cinglante (un poil borderline, tout de même). Autour de lui, Bradley Cooper (A Star Is Born, War Dogs, Avengers : Infinity War…), Laurence Fishburne (John Wick 2, Passengers…) et Michael Peña (Ant-Man et la Guêpe, Un Raccourci dans le temps…) étoffent la trame policière du film, tandis que coté famille, ce sont Taissa Farmiga (American Horror Story, La Nonne…), Alison Eastwood et Dianne Wiest (Life In Pieces, Sisters…) qui ancrent l’aspect rédemption de l’histoire. Personnellement, j’ai beaucoup de mal avec Dianne Wiest qui ne s’améliore pas avec l’âge et livre une interprétation pleine de minauderies agaçantes qui rendent ses scènes poignantes totalement insupportables.
Parmi les méchants interchangeables, Andy Garcia (Geostorm…) est presque méconnaissable mais malheureusement expédié et Ignacio Serricchio (Perdus dans l’Espace…) aurait mérité un personnage plus creusé.
En conclusion, j’avais peu d’attentes concernant ce film, mais voir Clint Eastwood renouer avec son talent de conteur et des personnages plus communs malgré des circonstances extraordinaires, cela fait plaisir à voir. Loin d’être à la hauteur de Gran Torino, film auquel La Mule est comparé à outrance, le réalisateur signe un drame touchant, hanté par le pardon et l’humanité dissimulée sous des façades peu accueillantes. À voir.