Drame, Super héros

[CRITIQUE] Joker, de Todd Phillips

Film événement pour le moins inattendu, le nom de Joker est sur toutes les lèvres depuis la standing ovation à l’issue de sa projection à la Mostra de Venise quelques mois plus tôt, avant d’être récompensé par le prestigieux Lion D’Or. Le film de Todd Phillips semble avoir son chemin tout tracé vers les Oscars, et pour cause : cette nouvelle version du Joker offre une approche sombre, tragique et fascinante aux portes de la folie, ancrée dans une réalité pas si éloignée de la nôtre. Le sans-faute ? Pas tout à fait, mais on s’en approche.

Le pitch : Le film, qui relate une histoire originale inédite sur grand écran, se focalise sur la figure emblématique de l’ennemi juré de Batman. Il brosse le portrait d’Arthur Fleck, un homme sans concession méprisé par la société.

Lors de son annonce, le film Joker apparaissait comme une tentative désespérée de maintenir le DCEU en vie après l’infâme – mais oscarisé – Suicide Squad, jusqu’à ce que le projet s’étoffe avec Todd Phillips à la réalisation et Joaquin Phoenix dans le rôle titre. Autant dire qu’il s’agit d’un duo très atypique : l’un s’est fait connaitre avec des comédies plutôt légères et parfois trashouilles, allant de Starsky et Hutch (2004) à la trilogie Very Bad Trip, avant se s’aiguiser sur War Dogs en 2016 ; tandis que l’autre fait partie de la caste des talents uniques et habités qui brillent le plus souvent dans des rôles complexes et dans des films demandeurs (The Master, Her, Walk The Line…). Très vite, le film s’annonce en dehors de l’univers partagé et se développe discrètement, dans l’ombre des blockbusters du genre.
Le succès à la Mostra de Venise suivi par la réception plus que positive du film au TIFF ont transformé le film de Todd Phillips en l’événement incontournable de cette fin d’année. Mais à travers la hype et la performance attendue de Joaquin Phoenix dans la peau du Joker – et la comparaison inévitable avec celle de Heath Ledger pour The Dark Knight – l’attente vaut-elle le coup ? Sommes-nous face au renouveau du genre origin story super-héroïque et/ou à la claque ultime de l’année ?

Pour ma part, je dirais que c’est un peu tout ça à la fois et puis pas vraiment non plus. Déjà, mettons les choses au clair : Joker n’est pas un film de super-héros (ou de super-vilain), en tout cas, pas dans le sens habituel comme un Batman V Superman et encore moins un film Marvel. Joker est une tragédie noire qui permet une nouvelle (ou première) exploration des origines mystérieuses du personnage, l’ennemi juré du Chevalier Noir.
À travers une Gotham aux bords de l’implosion, Todd Phillips dresse le portrait d’un homme au mental déjà fragilisé par un passé lourd et qui est confronté à la violence d’une société individualiste et embourbée dans le cercle vicieux de la pauvreté, de l’injustice et de la colère. Un tableau fascinant dès la première minute, aussi bien grâce à la noirceur palpable qui entoure le personnage que par la particularité de ce dernier. Que l’on connaisse ou non les comics, Joker est une belle introduction au film car il propose un point de vue populaire, à l’instar du faste sobre du coté de Batman. Le film se met à hauteur humaine, proposant un récit du quotidien grisonnant d’un personnage aux apparences lambdas, alors que le personnage oscille entre le mépris de ses pairs, la folie aux apparences douces de sa mère et ses rêves de reconnaissance en décalage avec l’univers hostile dans lequel il gravite.

Dans sa première partie, Joker fait de l’exposition, peut-être un peu trop parfois et l’effet kiss-cool de la hype qui entoure le film accentue l’impression de performance « à Oscar » qui découle de l’acteur et de la réalisation à la moindre envolée onirique soulignée par un pas de danse. Todd Phillips prend son temps, observe Joaquin Phoenix sous toutes les coutures, filmant au plus près son aspect décharné et la mélancolie d’un homme qui perd pied. Le film en fait parfois trop dans le misérabilisme, épaississant le trait pour justifier la naissance de cet anti-héros culte. Malgré la maîtrise et la justesse ambiante, l’ombre de la statuette dorée empêche – au premier abord – d’apprécier l’effort.

Heureusement, la bascule est efficace. Après une première heure contemplatrice, souvent évanescente même, le film s’agrippe à la réalité d’une poigne féroce et donne enfin vie au Joker tant attendue. Soudain, l’ensemble pue la classe, donne un coup de pied superbe à la léthargie ambiante et laisse enfin explosé toutes les émotions contenues. Cristallisant la révolte populaire, le sujet fictif du film devient le catalyseur percutant du monde actuel à travers la colère enragée et explosive qui déferle dans une deuxième partie bouillonnante, nerveux et incroyable. Plus que sociétale, Joker devient presque politique, acéré et violemment percutant. Todd Phillips prouve qu’il a bien cerné le personnage, faisant du Joker l’incarnation extrême d’une Gotham révoltée.

Un point de vue novateur et à la fois hautement séduisant qui fait notamment écho aux problèmes sociétaux, que ce soit en France avec les Gilets Jaunes ou encore aux États-Unis avec les mouvements pro ou anti Trump. Bercé entre la folie libératrice mais meurtrière du Joker et le besoin symbolique et puissant d’être entendu des habitants de Gotham, le film de Todd Phillips prend une puissance débordante et surtout pleine de sens. Plus qu’une adaptation, Joker est une origin story forte et dans l’air du temps, fleurant bon le tragique et le désespoir ambiant d’une société abandonnée par ses dirigeants. Les débuts contemplatifs muent à travers une belle montée en pressions dans le seconde partie, tandis que l’alliance du contexte au personnage emblématique du Joker donne une résonnance particulière et ô combien accessible.

J’ai aimé l’aspect viscéral et fascinant du film, avec ces airs presque apocalyptiques. Le film se situe dans les années 80 mais son propos est toujours aussi criant de vérités tandis qu’il cristallise les maux d’une société en crise et les émeutes qui en découlent souvent. Todd Phillips ne laisse rien à l’écart et n’oublie surtout pas le personnage de comics : le lien avec Batman est forcément présent – à la limite du fan service parfois, intéressant même avec sa vision plus pédante de Thomas Wayne bien éloignée de celle donnée par son fils.
Cependant, la frustration est présente. Alors que la lenteur du film appuie l’impression de performance forcée, le climax aurait pu aller plus loin et j’ai l’impression ne pas avoir assez profiter de ce Joker libre et fou furieux. J’aurai aimé en voir plus et que Todd Phillips fasse durer le plaisir et que son Joker s’embrase encore plus fort que Gotham. Et, enfin, je trouve dommage que le genre continue de se réfugier dans la justification au lieu d’assumer la folie de son personnage : on trouve mille et unes excuses pour expliquer le Joker (quitte à glisser des incohérences) alors que la richesse du personnage réside à la fois dans ses origines mystérieuses mais aussi dans sa psycho-sociopathie assumée.

Néanmoins, Joker est une belle réussite : Joaquin Phoenix (Les Frères Sisters, Don’t Worry…, A Beautiful Day…) livre, sans surprise, une performance extraordinaire tandis que Todd Phillips surprend avec une maîtrise incroyable d’un récit sous tension, graduel et viscéral, mis en abime par une mise en scène picturale et une bande-originale quasi-parfaite. L’acteur hante le film et sublime le casting, dans son sillage on tient à peine compte des rôles secondaires incarnés par Frances Conroy (American Horror Story…), Robert De Niro (The Comedian, Dirty Papy…), Zazie Beets (Deadpool 2…) et Brett Cullen (Instinct de Survie…).
Concernant le débat Heath Ledger vs Joaquin Phoenix, pour moi, personne ne surpasse la performance de Heath Ledger aussi fidèle au comics qu’authentique dans son rôle, là où la version de Todd Phillips aurait tout aussi bien plus s’appeler Robert et raconter une histoire identique sans problème.

En conclusion, Joker est-il la claque de l’année ? Pour ma part, non, mais Todd Phillips livre un film actuel, grisant et intense, porté par un Joaquin Phoenix magistral et une maîtrise admirable. À voir, avec certaines réserves pour les amateurs de comics movie.

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