Drame

[CRITIQUE] Queens, de Lorene Scafaria

Le pitch : Des strip-teaseuses se lient d’amitié et décident de conjuguer leurs talents pour arnaquer et prendre leur revanche sur leurs riches clients de Wall Street. Leur plan fonctionne à merveille, mais argent et vie facile les poussent à prendre de plus en plus de risques…

Si vous pensiez que tout avait été dit sur la crise financière qui a frappé le monde moderne en 2007-08, vous aviez tord ! Inspiré par un article paru dans le New York Magazine, Queens revient sur l’affaire des strip-teaseuses qui ont arnaqué (et drogué) leurs clients de Wall Street pour conserver leur train de vie. Lorene Scafaria (Jusqu’à Ce Que La Fin Du Monde Nous Sépare, Ma Mère et Moi…) joue la carte du racoleur soft, entre clichés et belles plastiques, mais arrondit les angles afin d’humaniser ses personnages pour éviter la vulgarité facile.
Le film nous plonge dans d’emblée dans l’univers bling-bling des strip-clubs new-yorkais, à travers l’amitié naissante entre deux femmes, l’une aguerrie à l’exercice et l’autre en quête de mentor. Rappelant l’ambiance décomplexée et exubérante qu’Adam McKay ou encore Martin Scorsese ont exploré dans, respectivement, The Big Short et Le Loup de Wall Street, Queens a des airs de video-clip pop/R’n’B post-2000 dans lequel Jennifer Lopez, actrice principale, rayonne. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le projet avait été proposé aux cinéastes pré-cités -qui ont logiquement refusé- avant que Lorene Scafaria s’approprie le scénario qu’elle avait elle-même adapté.
Distrayant et dynamique, Queens est un film presque honnête, dans le sens où il ne présente jamais ses personnages comme des victimes d’un système injuste, au contraire : le film propose des femmes belles et fières de leur travail, évitant le cliché de la poupée gonflable interchangeable. Lorene Scafaria tourne le dos au pathos : pas question d’excuser l’existence de ses personnages avec une story-line larmoyante qui justifierait pourquoi elles font du strip-tease, Queens a un tempérament fonceur et immédiat, qui compose avec avec l’instantané de façon assumé et, à première vue, conquérante.

Cependant, en dressant ce portrait réaliste de ses protagonistes, le film a tendance à rebuter sur de nombreux points. En effet, même si Queens s’assume, l’ensemble s’étale dans une esthétique bling-bling et superficielles, lookant ses personnages jusqu’au bout des (faux) ongles et évoluant dans des tableaux plein d’esbroufes mi-glamour, mi-factice. Devant cet étalage ostentatoire de richesses instantanées, Queens voit ses intentions relativement honorables être noyées par son besoin d’afficher un mode de vie flamboyant. Au départ, Lorene Scafaria voulait probablement capturer l’humain derrière les apparences, à la manière d’un Money Monster qui montrait comment le péquin lambda avait été atteint par des magouilles financières. Mais une fois avoué sur le bout des lèvres que ces femmes ont parfois des enfants ou des proches à charge, Queens préfère s’étaler dans une débauche de (marques de) luxe – allant jusqu’à exhiber un manteau de fourrure (beurk). Du coup, le coup de poker malin se transforme en une quête creuse, rappelant la féminisation récente de la saga Ocean’s où les braqueuses d’Ocean’s Eight volaient du make-up et des bijoux. De même, n’attendez pas trop de sulfure non plus : en dehors d’une danse du ventre de Jennifer Lopez (variantes disponibles dans tous ses vidéos clips ou presque) et de quelques agitations de chair, Queens n’a pas pour vocation d’exciter les petits coquinous espéraient voir de l’affriolant.

Globalement, Lorene Scafaria propose un divertissement facile, calqué sur les codes pop / r’n’b visant un public facilement impressionné par des paillettes et pour qui un sac Louis Vuitton équivaut à un symbole de réussite indéniable. Mais au final, sous ses airs de soap opera, le film dissèque surtout une brouille entre copines étirée à travers un fait divers qui, dans le fond, fera à peine hausser les sourcils et cherchera surtout à ne pas pointer du doigt ses personnages.
Et c’est pour ça que le film restera vain : si Lorene Scafaria relate une tranche de vie plus ou moins réelle, le scénario reste suffisamment safe pour éviter d’égratigner qui que ce soit. Après les scandales hollywoodiens, Queens ose le film de strip-teaseuses… mais réalisé par une femme pour un regard (soi-disant) moins critiquable, mais va surtout judicieusement contourner le constat d’un système vérolé par le pouvoir. Du coup, Queens parvient à mettre tout le monde d’accord, déclinant la responsabilité de tous ses protagonistes et donnant ainsi l’impression de faire du subversif alors que l’ensemble en réalité extrêmement formaté.

Au casting : on retrouve donc une Jennifer Lopez (Shades of Blue, Seconde Chance, Un Voisin Trop Parfait…) très à l’aise dans ce qui ressemble à un de ses clips en format long et entrecoupés de dialogues. En connaissant un peu les desideratas de la chanteuse diva, on retrouve nombre de ses exigences dans le personnage qu’elle incarne, mais cela sert plutôt bien son exercice tant elle est convaincante, voir même attachante en mère maquerelle féroce mais au cœur tendre. Sous ses ailes, Constance Wu (Crazy Rich Asians, Bienvenue chez les Huang…) s’effeuille timidement dans un rôle qui ne repose enfin plus sur ses origines, malgré un manque de profondeur dans l’écriture de son personnage. Autour d’elles, quelques visages connus : Keke Palmer (Scream: Resurrection…), Lili Reinhart (Galveston…) et Madeline Brewer (Captive State, The Handmaid’s Tale…) complètent un ensemble effervescent, explorant différentes facettes de leurs personnages, tandis que Julia Stiles (Jason Bourne…) reste sagement en retrait. Et donc Cardi B, nouvelle icône rap du moment, se taille une part du gâteau, dans ce que s’approche plus du caméo que d’un rôle défini.

En conclusion, la crise de 2007-08 n’a épargné personne et Queens propose un point de vue qui a le mérite d’être plus fun et inédit. Lorene Scafaria fait un choix plutôt culotté (hihi) dans cette période post-#metoo et parvient à faire un film de femmes sans les présenter en victimes ni en tant qu’objet, tout en jonglant avec la morale pour éviter de donner une véritable opinion. Faussement corrosif dans la forme, carrément verrouillé sur le fond, Queens fait office de cinéma décomplexé pour s’attirer les faveurs d’un public souhaitant fuir la grisaille hivernale. Et ça marche le temps du visionnage. À tenter.

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