Épouvante-horreur

[COUP DE CŒUR] Nosferatu, de Robert Eggers

Le pitch : Nosferatu est une fable gothique, l’histoire d’une obsession entre une jeune femme tourmentée et le terrifiant vampire qui s’en est épris, avec toute l’horreur qu’elle va répandre dans son sillage.

Depuis l’antiquité, on peut retracer de nombreux mythes et légendes qui parlent de personnages obscures, buveurs de sang. Dans la culture populaire, l’un des vampires les plus connus est bien entendu Dracula, imaginé par Bram Stoker en 1897, qui s’est vu adapter sur grand écran sous toutes les coutures, notamment sous les traits de Bela Lugosi dans le film réalisé par Tod Browning en 1931, puis incarné par Gary Oldman en 1992 sous la houlette de Francis Ford Coppola. Parmi toutes les adaptations officielles, directes ou inspirés par le roman de Bram Stoker, il y a eu en tout premier le film Nosferatu Le Vampire, l’adaptation officieuse et non validée par l’auteur de Dracula, mis en images par Friedrich Murnau en 1922. Le réalisateur allemand crée ainsi l’un des tous premiers films de genre, d’horreur plus précisément, évidemment muet et surtout un des plus grands chefs-d’oeuvre du cinéma expressionniste allemand, aux cotés de Metropolis de Fritz Lang (1927) par exemple.

Moins prisé que son faux-jumeau Dracula, Nosferatu connait moins d’adaptations sur la toile, hormis quelques suites et tentative de remakes entre 1979 et les années 2000). Il a fallu donc attendre plus d’un siècle pour voir une mise à jour du film Nosferatu et qui de mieux que Robert Eggers pour s’approprier cette poésie noire et déroutante, aux accents théâtraux et savoureux (Ari Aster, peut-être ?) ? Après une séries de films acclamés : The Witch, The Lighthouse ou encore The Northman, le réalisateur propose avec Nosferatu une ballade gothique, noire et romanesque qui revient aux origines de la légende du fameux Comte Orlock.

Avec Nosferatu, Robert Eggers signe une réinterprétation magistrale d’un chef-d’œuvre intemporel, offrant une œuvre à la fois respectueuse de son héritage et audacieusement moderne. Plongée dans une esthétique gothique d’une puissance rare, cette nouvelle vision du mythe vampirique transcende l’écran pour devenir une expérience sensorielle captivante.
Dès les premiers minutes, le film m’a subjuguée par sa beauté esthétique. Bien que ce ne soit pas une surprise au vue du palmarès du réalisateur, Nosferatu installe d’emblée une ambiance à la fois sinistre et envoûtante, faisant l’effet d’un rêve (ou d’un cauchemar) éveillé dans lequel on s’immerge sans peine. Ancré dans ses décors épais et fardés du début du vingtième siècle, le film en conserve la dynamique poudrée et empruntée.

Aussi démonstratif dans ses échanges que minimaliste dans son récit, Nosferatu se délite avec une langueur captivante alors que nos personnages s’embourbe dans un piège inexorable. La photographie, incroyablement soignée, enveloppe le spectateur dans une atmosphère lourde, entre rêve et cauchemar, où chaque ombre semble habitée par une menace latente. J’ai été happée par la beauté sépulcrale du film, dont les plans jouent habilement avec les teintes nocturnes, alliant merveilleusement la sobriété d’une époque au sépia sans faste et les couleurs noires-bleutées de l’approche gothique romantique. Certains plans sont des trésors de réalisation où les décors deviennent des formes parfois à peine discernables dans l’obscurité, pour encore mieux dérouter le spectateur.

À travers son héroïne à la beauté fragile et crépusculaire, le film de Robert Eggers est hanté par le désir et la convoitise, contrastant ainsi avec l’humeur bonhomme de ces personnages jeunes mariés qui espéraient avoir la vie devant eux. Nosferatu se débarrasse superbement de sa poussière posée depuis 102 ans et propose une revisite à la fois moderne, fidèle et fantasque, parfait mélange de monstruosité et beauté incroyable. Robert Eggers nous entraîne dans une danse lente et hypnotique, où l’horreur se mêle à la beauté. Le film excelle à tisser une tension insidieuse, amplifiée par une musique lancinante et des dialogues d’une théâtralité savoureuse. Ce mélange de minimalisme narratif et de démonstration visuelle confère au film une intensité presque opératique, où les thèmes de l’obsession, du désir et du sacrifice résonnent avec une modernité saisissante.

Tout cela ne serait qu’une jolie peinture animée sans la performance remarquable de Lily-Rose Depp (Silent Night, Le Roi, La Danseuse…), incarnant ici une Ellen vulnérable et magnétique, donnant à son personnage une profondeur émotionnelle qui habite le film tout entier. L’actrice éclipse sans effort un Nicholas Hoult (Juré N°2, Le Menu, The Great…) pourtant excellent (il nous ferait même oublié son horrible Renfield !) et un Aaron Taylor-Johnson (Kraven The Hunter, The Fall Guy, Bullet Train…) souvent cabotinant, tandis qu’Emma Corrin (The Crown, Deadpool et Wolverine…) ferme ce quatuor aux destins entremêlés.

Nosferatu ne serait pas sans un Comte Orlok inquiétant et à l’intensité glaçante, sans surprise c’est Bill Skarsgård (The Crow, John Wick : Chapitre 4, Les Éternels…), bien décidé à hanter nos cauchemars depuis son interprétations du clown Pennywise dans le remake de Ça, qui se risque à l’exercice, osant une empreinte vocale impressionnante pour donner vie au vampire. À l’affiche également, on retrouve Willem Dafoe (Beetlejuice BeetleJuice, Pauvres Créatures…) et Ralph Ineson (La Malédiction : L’Origine, The Creator, The Northman…), des habitués du réalisateur, ainsi que Simon McBurney (The Loudest Voice, Conjuring 2 : Le Cas Enfield…), dans une distribution impeccable ou chacun apporte sa pierre à cet édifice sombre et fascinant.

En conclusion, Robert Eggers insuffle une nouvelle vie à un mythe ancestral, dont le film original de 1922 peut être un poil inaccessible aujourd’hui. Porté par une profondeur psychologique et une richesse visuelle magistrale, Nosferatu s’inscrit autant dans l’héritage du gothique que dans la modernité. En confirmant son talent singulier, Robert Eggers livre une œuvre à la fois terrifiante et sublime, qui ne manquera pas de marquer durablement les esprits. À voir, évidemment.

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