Thriller

[CRITIQUE] Le Menu, de Mark Mylod

Gastronomie, luxe et huis-clos insulaire, le nouveau film de Mark Mylod propose une dégustation piquante sur fond de critique sociale et rebondissements tordus. Malgré un manque de dynamisme et d’avis tranché, Le Menu fustige la surconsommation et l’élite dans un tableau soigné et captivant. 

Le pitch : Un couple se rend sur une île isolée pour dîner dans un des restaurants les plus en vogue du moment, en compagnie d’autres invités triés sur le volet. Le savoureux menu concocté par le chef va leur réserver des surprises aussi étonnantes que radicales…

Habitué à la comédie dans ces premiers films, Mark Mylod (Ali G, Sex List…) change de registre en reprenant au pied levé la réalisation du film Le Menu, initialement confiée à Alexander Payne jusqu’à son départ du projet en 2020. Entre comédie noire et thriller captivant, le film propose un huis-clos inquiétant démarrant par la promesse d’un dîner de haute voltige, entre gastronomes de tous poils et une brigade de cuisine dévouée. Dès l’ouverture, Le Menu nous accroche à un personnage, incarné par Anya Taylor-Joy, qui détonne dans ce groupe d’exclusifs en route pour un mystérieux repas réservé à l’élite. L’installation intrigue alors qu’on découvre un cadre piqué par l’exigence de passionnés, de ceux qui s’exécutent au service d’un chef si talentueux qu’il en devient secret. La sobriété sophistiquée de la réalisation met en appétit et joue d’ailleurs si bien avec les apparences que lorsque les masques tombent, le reste du film ne devient alors que stupeurs et tremblements. Encerclés par un chef autoritaire et une brigade à la rigueur militaire, les invités (et les spectateurs) naviguent à l’aveugle au cours d’une soirée qui prend de plus en plus des airs de règlements de comptes, destinés à mettre les personnages face à leurs propres noirceurs. Si la réalisation manque parfois de dynamisme, ce sont les protagonistes et l’écriture des dialogues qui vont venir épicer l’ensemble, notamment à travers une Hong Chau aussi imperturbable qu’incisive. Le Menu prend son temps, chapitre après chapitre, mais ne déçoit pas grâce à un récit surprenant, volontairement de moins en moins subtile, jusqu’à un final déconcertant.  

Bien que le film de Mark Mylod s’articule autour d’un art culinaire, il fait cependant écho à toutes les formes d’art, en disséquant le rapport d’un créateur face à son art, mais aussi la façon dont son travail mue au contact de son audience. Un public qui d’ailleurs fait écho aux spectateurs de tous poils, depuis les critiques érudits aux aficionados de la première heure, en passant par les habitués désabusés, les guests invités ou les curieux pouvant s’offrir l’expérience. Le Menu cristallise la (sur)consommation moderne comme une dévoreuse d’originalité et de vocation. La métaphore culinaire donne l’eau à la bouche tant les plans sur les plats feraient rougir les plus grands show tv (dont Chef’s Table, mentionné dans le film), comme pour continuer d’appâter le spectateur avec une présentation si soignée qu’on a l’impression d’assister à quelque choses de grandiose même quand ce n’est pas le cas. Le film est ambitieux dans son message et déroutant dans son écriture corrosive qui accuse méchamment ce qu’il dénonce. Cependant, la mise en scène a du mal à choisir un camp, oscillant constamment entre comédie noire ou survival cruel. Le Menu observe, démontre et juge ses personnages à grands renforts de métaphores et de rebondissements, allant jusqu’à faire un clin d’œil au tableau La Cène à travers les raisons d’être de ses différents protagonistes.

Ainsi, derrière un thriller scénario affûté, Mark Mylod scrute le rapport ténu entre les cinéastes et leurs publics avec un point de vue aussi cynique que glaçant sur la trajectoire presque inéluctable du succès. Ou comment la notoriété devient nocive pour l’originalité et son artiste. 

Mais je m’égare et, d’ailleurs, tombe dans le travers que dénonce le film en cherchant à l’expliquer ! Au-delà de la métaphore, Le Menu est bien plus simple, mais reste néanmoins d’une exécution captivante qui tient en haleine jusqu’au bout. Le seul problème finalement, en dehors du manque de rythme qui rend parfois l’ensemble lancinant, c’est que Mark Mylod ne prend finalement pas partie dans ce qu’il dénonce. Au-delà de s’en prendre aux richissimes, Le Menu fait l’effet d’un constat froid et neutre sur un phénomène finalement accessible, mais ne propose ni morale ni solution, en dehors celle, bien sûr, de rester authentique coûte que coûte, que l’on soit créateur ou consommateur.

Comme dit plus haut, l’atout principal du film réside dans l’écriture de ses personnages. En tête d’affiche, Anya Taylor-Joy (The Northman, Last Night In Soho, Les Nouveaux Mutants…) est à l’aise dans ce type de rôles ambigus qui semblent sortir du lot, ce qui rappelle également son personnage dans Split. Autour d’elle, Ralph Fiennes (The King’s Man: Première Mission, Le Voyage du Docteur Dolittle, Official Secrets…) mène la danse d’une main de maître, suivie par Hong Chau (Watchmen, Downsizing…), parfaite en maître d’hôtel impassible, tandis que Nicholas Hoult (Ceux Qui Veulent Ma Mort, La Favorite, X-Men: Dark Phoenix…) est aussi amusant que grinçant dans son rôle de fan absolu. John Leguizamo (Encanto, The Mandalorian…), Judith Light (Tick, Tick… Boom!, American Horror Stories…) et Janet McTeer (Ozark, Divergente…) complètent un ensemble accessible, souvent détestables mais justes. 

En conclusion, Le Menu est un thriller surprenant et dérangeant qui, entre deux détours sanglants, dissèque la consommation d’un art sous toutes ses formes, entre fanatisme, élitisme et vulgarisation. Mark Mylod illustre le rapport entre un artiste, son travail et son public dans une satyre tordue mais effrayante de vérité. À voir.

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