Épouvante-horreur, Comédie

[CRITIQUE] The Dead Don’t Die, de Jim Jarmusch

Le pitch : Dans la sereine petite ville de Centerville, quelque chose cloche. La lune est omniprésente dans le ciel, la lumière du jour se manifeste à des horaires imprévisibles et les animaux commencent à avoir des comportements inhabituels. Personne ne sait vraiment pourquoi. Les nouvelles sont effrayantes et les scientifiques sont inquiets. Mais personne ne pouvait prévoir l’événement le plus étrange et dangereux qui allait s’abattre sur Centerville : THE DEAD DON’T DIE – les morts sortent de leurs tombes et s’attaquent sauvagement aux vivants pour s’en nourrir. La bataille pour la survie commence pour les habitants de la ville.

Jim Jarmusch (Paterson, Only Lovers Left Alive…) se la joue faussement mainstream dans son nouveau film, The Dead Don’t Die, présentée au Festival de Cannes 2019 en sélection et en ouverture, estampillée comédie horrifique alors qu’il s’agit d’un constat las et amer sur l’inéluctable destin de l’humanité. Cocoonée dans une bourgade américaine typique qui cumule tous les clichés possibles de l’Amérique profonde, le film dessine une atmosphère de fin du monde alors que la Terre sort de son axe et que des événements étranges réveillent les morts. Avec sa mise en scène appliquée, Jim Jarmusch pose une caméra témoin qui va suivre ses différents personnages dans un récit piqué d’un humour caustique et décalé, bercée de références au cinéma de George Romero – of course – tout en exposant frontalement son propos. Evidemment, il ne faut pas s’attendre à un film d’horreur répondant aux codes du genre : The Dead Don’t Die fait forcément penser à une version étrange de La Nuit Des Morts-Vivants (1968) mais en se reposant surtout sur l’ambition de Romero qui voyait déjà les zombies comme la métaphore d’un monde avachi.

En effet, derrière cette comédie noire, le réalisateur anime une humanité arrivée à expiration et mise devant le fait accompli, avec un détachement laconique et fataliste. The Dead Don’t Die grime un monde averti et pointe du doigt notre société pourtant alertée sur l’état de notre planète, accusant son manque de réactivité, son refuge vers les années antérieures et des effets de mode vide de sens. Consommation, politique et écologie, Jim Jarmusch passe au crible ses idéaux personnifiés des maux de notre monde actuel, du pied-de-nez bien visible à l’Amérique de Trump jusqu’à ses jeunes « hypster » pour qui le mot « vintage » semble être la réponse ultime. Le film se moque beaucoup, y compris de lui-même alors qu’il se prend au jeu de l’hyper-conscience en brisant le quatrième mur, tout en façonnant une acceptation immédiate des personnages face à ce qui les attend. Et là encore quand Jim Jarmusch s’en amuse, c’est également pour en démontrer la vacuité de ce nouvel effet de style puisqu’il le pose en début de film à travers le personnage d’Adam Driver (nommé Peterson !) qui explique que la musique qu’on entend est le titre du film, sans pour autant réitérer l’expérience avant la toute fin du film. The Dead Don’t Die résonne comme une sentence inévitable où seuls ceux qui ont su échapper à l’influence d’un monde capitaliste peuvent voir venir la catastrophe et, éventuellement, y échapper. Les gros sabots sont présents, bien visibles, mais n’empêchent finalement de créer une réflexion intéressante et à creuser sur nos propres comportements et valeurs… avant qu’il ne soit trop tard ?

The Dead Don’t Die est un film dépité mais conscient, suivant un constat passif porté par un réalisateur qui cristallise sa vision d’un monde fichu. Certains pourraient y voir une forme d’agressivité de vieux bobo, mais je trouve que l’ensemble reste suffisamment distancié et large pour éviter l’insulte, tout en parvenant à faire comprendre son message (« on est foutu, on s’en fout et tant pis pour nous » grosso merdo) avec la subtilité d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Seul véritable bémol finalement, c’est que si Jim Jarmusch s’amuse à baisser les armes, le résultat est visuellement bien moins léché que ses précédents films. Grisâtre, The Dead Don’t Die est loin d’être le meilleur film du réalisateur, notamment en terme de photographie. Alors que Paterson, par exemple, brillait par sa sublimation du ron-ron quotidien, ce nouvel opus a une teinte marbreuse qui s’oublie malheureusement trop vite.

Au casting, Jim Jarmusch retrouve ses muses : Bill Murray (SOS Fantômes, Le Livre de La Jungle…) et Adam Driver (BlacKkKlansman : J’ai infiltré le Ku Klux Klan, Star Wars : Les Derniers Jedi…) forment un duo efficace, tandis que Tilda Swinton (Suspiria, L’Île Aux Chiens…) est transformée en une sorte de Beatrix Kiddo (Kill Bill) de l’étrange – serait-ce une branche d’olivier tendue à Quentin Tarantino ? Mystère. Dans ce casting incroyable, on retrouve aussi Chloë Sevigny (Le Bonhome de Neige…), Steve Buscemi (La Mort de Staline…), Danny Glover (Sorry To Bother You…) ou encore Caleb Landry Jones (Three Billboards : Les Panneaux de la Vengeance…), tandis que les chanteurs Iggy Pop, RZA et Selena Gomez viennent faire quelques apparitions remarquées, ainsi que Tom Waits (The Old Man and The Gun, La Ballade de Buster Scruggs…) joue les narrateurs éclairés.

En conclusion, The Dead Don’t Die s’affiche comme la version accessible du cinéma contemplatif de Jim Jarmusch. Ce dernier sort de sa zone de confort en proposant une comédie de zombie et livre une œuvre fataliste et volontairement éteinte, dans lequel ses personnages symbolisent une société en fin de course. Vraiment pas le meilleur film de Jim Jarmusch, mais toujours aussi curieux et déconcertant pour un public averti. À voir.

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