
Le pitch : Sandra, Samuel et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide ou homicide ? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple.
Que de bruit, que de bruit, que de bruit autour du film de Justine Triet (Sibyl, Victoria, La Bataille de Solférino…) !
De sa Palme d’Or au Festival de Cannes 2023 jusqu’à sa nomination aux Oscars 2024 et en passant par les 6 César reçus récemment, il faudrait vivre dans une fosse au fin fond de la Creuse pour ne pas avoir entendu parler du film Anatomie d’Une Chute de près ou de loin. D’ailleurs, au-delà de son joli palmarès, c’est surtout le choix d’avoir envoyé le film La Passion de Dodin Bouffant de Tran Anh Hung (Prix de la mise en scène au Festival de Cannes) pour représenter la France aux Oscars qui semble avoir susciter un tel engouement autour du film de Justine Triet. Un choix d’autant plus étrange puisque non seulement le film de Tran Anh Hung n’a été sélectionné nulle part à l’international, mais aussi parce qu’avec ses 3 nominations aux César, La Passion de Dodin Bouffant est reparti bredouille. Bref, une aubaine pour Anatomie d’Une Chute… mais le bruit est-il à la hauteur du film ? À quel moment un film se voit Césarisé pour ses qualités et non pour sa publicité ? Quand on arrive après la bataille, est-ce que le film de Justine Triet est à la hauteur de sa hype ?

Bien évidemment, la réponse est non.
Comme de nombreux films français qui ont été sur-acclamé par l’opinion publique et les médias, y compris à l’international (Intouchables, The Artist…), le succès d’Anatomie d’Une Chute me laisse perplexe. Des films de tribunal, ce n’est pas ce qui manque dans le cinéma français – comme le prouve le film Le Procès Goldman également en compétition aux César. Cependant, à une époque où #Metoo reste d’actualité, où les femmes s’expriment et où les féminicides restent sous-médiatisés, Justine Triet aborde le sujet de manière inédite, en nous mettant face au doute et à la bonne morale commune, face à une femme coincée par la barrière de la langue et des apparences peu avantageuses. Anatomie d’Une Chute débute sur cette fameuse chute puis déverse des questions sans réponse, mais sujettent à autant d’interprétations. Naviguant entre les rôles de victime et de coupable, le film expose son héroïne aux jugements hâtifs, explorant tous les stéréotypes pour tenter de dénicher la vérité ou jouer avec nos croyances personnelles.
Entre partie pris, défense agressive et solidarité mal placée, Anatomie d’Une Chute dissèque, interprète, observe et écoute des fragments de vie désarticulés pour tenter d’y trouver une réponse. Finalement, ce sont les regards posés sur cette femme – tantôt veuve, tantôt meurtrière, tantôt auteur admirable, tantôt délurée, tantôt victime et tantôt mère – qui vont peser dans la balance, plus que les souvenirs de cet homme, dont la mort semble avoir exempté de tout défaut. Et à travers tout cela, Justine Triet dénonce les a-prioris et les jugements hâtifs, sans jamais lâcher de lest, laissant au public repartir bredouille ou avec un avis bien tranché.

Oui mais voilà, tout ça pour ça ? Derrière l’apparence plus ou moins contemporaine et, heureusement, moins stéréotypée que certains films se targuant d’un féminisme à la mode (lorgnons du coté de Barbie, n’est-ce pas), j’ai trouvé que le film de Justine Triet en disait trop ou pas assez. Quelques parts entre un Jusqu’à La Garde sans la tension oppressante et un La Fille au Bracelet plus insidieux, Anatomie d’Une Chute propose un drame certes solide et affûté, cependant tout juste idéal pour nourrir quelques débats au cours d’un dîner animé dans un appartement cossu de la Rive Gauche (oui, c’était méprisant un peu :D). Si le manque de contexte en amont est volontaire, le film de Justine Triet est traversé par des creux narratifs et de l’indignation facile pour inciter au doute ou faire pencher la balance. Amazing Amy ou victime du sort ? Anatomie d’Une Chute n’a pas réussi à me maintenir en haleine durant ces longueurs (2h30), malgré ses quelques atouts. En réalité, après avoir pris ma décision, la seule question qui me taraude après avoir vu ce film c’est : tout ça pour ça, vraiment ?

Au casting : étant donné que j’ai vu La Zone d’Intérêt il y a peu de temps, j’ai eu du mal à séparer Sandra Hüller (Sissi et Moi, Sybil…) de son personnage de « reine d’Auschwitz ». Entre son tempérament germanique et la barrière de la langue, l’actrice parvient à donner un relief intéressant à son personnage. Autour d’elle, Swann Arlaud (L’Établi, À Propos de Joan, Grâce à Dieu…), Milo Machado-Graner (En Attendant Bojangles, Alex Hugo…) et Antoine Reinartz (Tapie, Arthur Rambo, Chanson Douce…) participent à ce procès à la cinématique facile.
En conclusion, malgré le tapage médiatique entourant Anatomie d’Une Chute de Justine Triet, le film ne parvient pas à justifier l’ampleur de son buzz. La réalisatrice aborde de manière intéressente les jugements précipités sur son personnage féminin, mais s’effiloche à force de rester en surface, entre contemplation et effets de style. À tenter.

