
Le pitch : Cela fait près de trente ans que le Virus de la Fureur s’est échappé d’un laboratoire d’armement biologique. Alors qu’un confinement très strict a été mis en place, certains ont trouvé le moyen de survivre parmi les personnes infectées. C’est ainsi qu’une communauté de rescapés s’est réfugiée sur une petite île seulement reliée au continent par une route, placée sous haute protection. Lorsque l’un des habitants de l’île est envoyé en mission sur le continent, il découvre que non seulement les infectés ont muté, mais que d’autres survivants aussi, dans un contexte à la fois mystérieux et terrifiant…
Contrairement à ce que son titre indique, c’est bien 23 ans plus tard que Danny Boyle (Yesterday, T2 Trainspotting, Steve Jobs…) et qu’Alex Garland (Civil War, Men, Ex Machina…), son acolyte au scénario, reviennent avec une suite à 28 Jours Plus Tard sorti en 2002 et 28 Semaines Plus Tard sorti en 2007. À l’époque, le réalisateur britannique imposait sa patte dans le film de genre en proposant un film post-apocalyptique haletant, où le danger émanait aussi bien des infectés que des humains (*tousse* des hommes) livrés à eux-mêmes. 28 Ans Plus Tard reprend là où tout a commencé, ou presque. Après une brève introduction pour rappeler l’existence de la Fureur (et le même détour dans une église !) avant de tracer une nouvelle voie, plus fragmentée et plus introspective. Le monde a continué de tourner, avec ou sans la Grande-Bretagne et les survivants ont survécu… Les infectés aussi.

Dès les premières scènes, on retrouve la griffe de Danny Boyle : cette tension insidieuse, brute, presque douloureuse, amplifiée par un montage syncopé, des sons qui vrillent les nerfs, et ce sentiment permanent que tout peut basculer à chaque instant. La première partie de 28 Ans Plus Tard, habitée par un duo père-fils sur fond d’initiation, est une mise en abîme superbe, reposant sur la vision immersive d’un cinéaste inspiré : on y retrouve la nervosité anxiogène du film de zombie qui cohabite avec la poésie désoeuvrée d’un monde post-apocalypse. Danny Boyle s’éclate et se lâche dans une composition viscérale et abruptes qui mettent sous tension, tout en composant des plans absolument époustouflants. Entre une scène de cavalcade au milieu des aurores boréales ou l’ombre chinoise d’une silhouette inquiétantes dans un paysages crépusculaires, 28 Ans Plus Tard nous happe dans un tourbillon d’émotions intenses qui grignotent à chaque instant le peu de recul qui nous reste face à l’écran. C’est dire : rien que le fait d’entendre les personnages parler à voix haute suscite suffisait à me tendre. Frénétique, angoissant et organique, le film de Danny Boyle molletonne le tout dans une BO électrique, oscillant entre un mélange de rock et électro rugueuse, ambiances désincarnées, tandis que des inserts d’archives audio et vidéo hurlent une mémoire du chaos.

Mais à mi-parcours, le film bifurque. Et pas qu’un peu. Le rythme s’apaise, on glisse vers une forme d’acceptation, un temps suspendu qui détonne après tant de frénésie. Danny Boyle tente autre chose : confronter une nouvelle génération qui n’a jamais connu le monde d’avant à l’idée d’une vie possible, ailleurs, autrement. Ce second arc, porté cette fois par un duo mère-fils, est plus doux, presque mystique, comme un requiem post-apocalyptique, où la violence n’est plus frontale mais existentielle. Il est question d’émancipation, de fin de rite de passage, de deuil aussi (au sens propre comme au figuré). L’intention est belle, sincère, mais s’éternise un peu trop. Le passage d’un arc à l’autre peut décontenancer, voire décevoir, et l’impression que certains personnages disparaissent en route ne joue pas en faveur de la cohérence du récit. Ce temps calme, inattendu dans cette franchise, pourra séduire ou frustrer : il s’étire, et perd parfois en intensité ce qu’il gagne en symbolique.

Cependant, 28 Ans Plus Tard n’est pas exemple de défauts : outre une seconde partie qui détonne avec ce qu’on attend d’un tel film, il y a tout de même quelques incohérences et choix narratifs qui soulèvent quelques questions (des animaux qui foisonnent tranquilou, alors qu’ils étaient porteurs d’infections dans les autres films, par exemple). Mais ce qui étonne surtout c’est cette volonté d’ouvrir une nouvelle trilogie en teasant déjà la suite. J’aurai aimé que le film de Danny Boyle propose une forme de clôture plus globale sur tous les personnages rencontrés en cours de route plutôt qu’un cliffhanger. Mais visiblement il va falloir attendre l’année prochaine avec 28 Ans Plus Tard : The Bone Temple (déjà filmé), réalisé par Nia DaCosta (The Marvels, Candyman…).

Cela dit, même avec ses défauts, 28 Ans Plus Tard reste un objet de cinéma fascinant. Déjà parce qu’au-delà de l’attente autour du film, Danny Boyle nous agrippe dès les premières minutes avant de faire exploser toutes nos certitudes sur les récits post-apocalyptiques. On retrouve son cinéma sensoriel, qui ne se repose jamais uniquement sur son récit littéral, et, dans ce cas précis, où l’horreur ne vient pas seulement des infectés mais de ce qu’ils révèlent du monde (diégétique ou réel). En effet, le film de zombies ayant toujours eu un sous-texte plus réaliste (et un chouille défaitiste), 28 Ans Plus Tard ne fait pas exception. Derrière ses apparences de fiction, on y retrouve le spectre du Brexit, l’isolement de la Grande-Bretagne au reste de l’Europe et la mémoire de la pandémie Covid-19 en filigrane. Et au milieu, il y a une forme d’acceptation radicale ou de résilience salvatrice dans cet univers, où le monde est fracturé pour de bon. Pas de remède, pas d’espoir de retour à la normale. Seulement la survie, puis, peut-être, autre chose. Alors, qu’est-ce qui est le plus flippant : la réalité ou la fiction ? Ou bien l’un serait-il le miroir à peine déformé de l’autre ?

Au casting : Alfie Williams (His Dark Materials…) tire son épingle du jeu au milieu de ses co-stars, même si pour les besoins du récit, il endosse le rôle du sempiternel gamin qui prend des risques inconsidérés dans un film d’épouvante. Et pourtant, une fois la pilule avalée, le jeune acteur devient le poumon du film. Autour de lui, on découvre une Jodie Comer (The Bikeriders, Le Dernier Duel, Killing Eve…) fragile et touchante, un Aaron Taylor-Johnson (Nosferatu, Kraven The Hunter, Bullet Train…) solide et convaincant, ainsi qu’un Ralph Fienes (Conclave, Le Menu, The King’s Man : Première Mission…) à la fois mystique, lucide et résilient.
À l’affiche également, on retrouve Jack O’Connell (Sinners, Back To Black, Ferrari…) — et une variation hallucinée des Teletubbies qui auraient fusionnés avec des Power Rangers chaotiques, j’en ai déjà trop dit, Erin Kellyman (Falcon et le Soldat de l’Hiver, Blitz…) ou encore Christopher Fulford (Hypnose, The Musketeers…).
En conclusion, Danny Boyle et Alex Garland joignent leurs forces pour notre plus grand plaisir et prolongent l’héritage de 28 Jours Plus Tard à travers un film viscéral, audacieux et plein d’aplomb. Si certains choix narratifs ou changements de rythme peuvent désarçonner, 28 Ans Plus Tard bouscule les codes du genre pour mieux distiller une atmosphère tendue, fiévreuse, parfois contemplative, où la résilience affleure au cœur du chaos. À voir, qu’on aime se faire peur ou pas.

