Comédie, Drame

[CRITIQUE] Neneh Superstar, de Ramzi Ben Sliman

Le pitch : Née pour danser, Neneh est une petite fille noire de 12 ans qui vient d’intégrer l’école de ballet de l’Opéra de Paris. Malgré son enthousiasme, elle va devoir redoubler d’efforts pour s’arracher à sa condition et se faire accepter par la directrice de l’établissement, Marianne Belage. Cette dernière est en effet la garante des traditions et porteuse d’un secret qui la relie à la petite ballerine.

Plus de six ans après son premier film, Ma Révolution (2016), Ramzi Ben Sliman revient avec un nouveau long-métrage qui suit également les pas d’un personnage adolescent dans un récit initiatique opposant un contexte particulier et ses origines.
Neneh Superstar est un drame au sujet difficile, mais porté par la fougue solaire d’une jeune fille qui ne se laisse pas démonter par les portes fermées sur son chemin. Jeune danseuse, Noire et issue de banlieue, son intégration à l’école de ballet de l’Opéra de Paris ne se fera pas sans mal alors que son talent est remis en question à cause de ses origines. Et pour cause : si la danse classique reste un art sportif des plus difficiles et exigeants, son image archaïque est de plus en plus controversée à cause de son manque de diversité et d’ouverture au monde. 

En effet, des danseurs et ballerines Noirs ont récemment pris la parole pour dénoncer un certain traitement, la série L’Opéra sur OCS aborde, entre autres, le sujet et il y a aussi le problème des tenues aux couleurs claires qui pendant longtemps n’existaient pas dans des tons plus foncés. La cause avancée : l’uniformité du corps de ballet où tous les danseurs / danseuses doivent se fondre « harmonieusement » dans la masse. La raison plus houleuse : le travail littéralement au corps des danseurs de ballet qui a poussé la technique jusqu’à anticiper les prédispositions génétiques de ses jeunes rats. Ainsi, une jeune danseuse lambda qui verrait sa poitrine se développer, ses hanches ou ses cuisses s’élargir  pour x ou y raison prendrait le risque de voir sa carrière tuée dans l’oeuf. Alors imaginez les a-prioris sur le « morphotype africain » ou la simple différence de carnation d’un individu dans un corps de ballet.
Si certains pays avancent, notamment aux Etats-Unis, parmi les grands opéras connus en Europe ou autre pays plus à l’Est, le chemin est encore long. 

C’est nourri de tout ce poids que Neneh Superstar se déroule, alors que l’innocence de l’héroïne en fait une guerrière prête à essuyer les remarques de son idole pour atteindre de son rêve. Le film raconte habilement sa prise de conscience, à travers ses interactions avec son entourage, des copines du quartier aux camarades d’école, alors que pour le spectateur, le texte est plus frontale. Au-delà du simple racisme, Ramzi Ben Sliman explore le déterminisme social, où les origines et/ou la classe sociale semblent forcer le destin de ses personnages. Plus qu’une petite fille noire, c’est son corps et sa carnation qui est remis en cause, en dépit de son talent, tandis que le soutien de ses parents se fait avec précaution.
C’est assez poignant de réaliser qu’il y a toujours ce moment fatidique où un enfant issue d’une minorité ethnique ou d’une classe sociale moyenne ou autre va être confronter à cette réalité qu’il ne maîtrise pas : sa différence ou ce qui est perçu comme une différence au regard des autres. Qu’il s’agisse de sa couleur de peau ou d’une question de moyens, le monde des adultes et/ou la moindre compétition vient percer la bulle d’innocence qui protège les rêves de Neneh. Dans le fond, Neneh Superstar propose une histoire douloureusement réaliste alors que le personnage principal voit son avenir vaciller à cause d’un «  » » »problème » » » » qu’elle ne peut résoudre ni contourner.

Et pourtant, Ramzi Ben Sliman ne cède pas à l’apitoiement ni la commisération. Au contraire, Neneh Superstar propose un cadre lumineux, en proposant une ambiance pleine de vie et d’espoirs. Le personnage central diffuse une énergie si conquérante, que cela efface presque la dureté du sous-texte. Grâce à son assurance et à un caractère affirmée, Neneh rayonne véritablement en superstar sur tout le film. De sa volonté à exceller au passage de danse, que ce soit du ballet ou plus contemporain, la jeune héroïne du film donne le sourire et crée une sympathie immédiate. Du coup, quand les propos ou certains actes négatifs s’accumulent autour d’elle, le film prend aux tripes et donne envie de traverser l’écran pour la secourir ou la défendre.
Ramzi Ben Sliman fait un pied-de-nez aux films estampillés « white savior » où un personnage Blanc et d’une classe sociale plus élevée sort une minorité « du ruisseau » grâce à une forme d’art ou d’activité sensée être inaccessible et/ou élitiste (exemple récent : le film Ténor où l’entourage du héros le renie carrément car il préfère l’opéra au rap…). Le film évite ainsi la caricature de l’entourage braqué pour souligner des doutes réellement plausibles (la différence de classe sociale, par exemple). Dans ce film, la réticence du personnage incarnée par Maïwenn se réfugie derrière une histoire peu explorée pour éviter la lourdeur du sujet racial, tandis que l’hostilité des petites danseuses est plus liée au tempérament affirmé de la jeune Neneh.

Ramzi Ben Sliman évite ainsi les préjugés faciles pour explorer les problématiques exposées de façon saine, pour éviter de marcher avec de trop gros sabots, ce qui permet au récit de proposer une véritable réflexion sur le parcours initiatique de son personnage central, qui prend conscience de son identité vue par le monde qui l’entoure. 

Quelques bémols tout de même : quand Neneh danse sur de la musique contemporaine, elle est – à mon avis – bien plus enthousiasmante, ce qui dessert un poil le propos du film. Aussi, [SPOILER] à la fin, elle incarne le cygne noir dans une représentation du ballet du Lac des Cygnes et comme on le sait, le cygne noir est un personnage aux motivations plutôt sombres [/SPOILER], soit un autre choix discutable pour souligner la place d’une danseuse de couleur dans une compagnie de danse classique.

Au casting, c’est donc la jeune Oumy Bruni Garrel qui porte le film grâce à son interprétation solaire et conquérante. Autour d’elle, Maïwenn (Tralala, ADN, Sœurs…) est excellente en professeure glaciale et détestable, tandis qu’Aïssa Maïga (Mon Frère, Il A Déjà Tes Yeux…) et Steve Tientcheu (Robuste, Les Misérables…) incarnent des parents solides, à la fois inquiets, encourageants et attachants.
À l’affiche également, on retrouve Cédric Kahn (Fête de Famille, La Prière…), Alexandre Steiger (The French Dispatch, Eiffel…) ou encore Richard Sammel (Spencer, Inglorious Basterds…).

En conclusion, Neneh Superstar propose une histoire difficile mais douloureusement réaliste.  Heureusement, l’interprétation solaire et la fougue d’Oumi Bruni Garrel en fait réellement une superstar que j’ai aimé voir évoluer et danser. À voir (ou à rattraper). 

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