Drame

[COUP DE CŒUR] La Favorite, de Yórgos Lánthimos

Excentrique et subversif, Yórgos Lánthimos s’engage dans la course à l’Oscar avec un face-à-face féroce entre Rachel Weisz et Emma Stone qui s’affrontent pour les faveurs d’une Olivia Colman épatante en reine caractérielle. La Favorite est une fresque historique affûtée, originale et délicieusement tragi-comique, portée par une attention sublime à l’ensemble, à travers des décors et costumes d’une beauté époustouflante. Un peu fou et insolent, Yórgos Lánthimos nous immerge dans un nid de vipères bousculé par les convenances et les manigances en tout genre. Festif et jubilatoire !

Le pitch : Début du XVIIIème siècle. L’Angleterre et la France sont en guerre. Toutefois, à la cour, la mode est aux courses de canards et à la dégustation d’ananas. La reine Anne, à la santé fragile et au caractère instable, occupe le trône tandis que son amie Lady Sarah gouverne le pays à sa place. Lorsqu’une nouvelle servante, Abigail Hill, arrive à la cour, Lady Sarah la prend sous son aile, pensant qu’elle pourrait être une alliée. Abigail va y voir l’opportunité de renouer avec ses racines aristocratiques. Alors que les enjeux politiques de la guerre absorbent Sarah, Abigail quant à elle parvient à gagner la confiance de la reine et devient sa nouvelle confidente. Cette amitié naissante donne à la jeune femme l’occasion de satisfaire ses ambitions, et elle ne laissera ni homme, ni femme, ni politique, ni même un lapin se mettre en travers de son chemin.

Adoubé par le Festival de Cannes et la Mostra de Venise depuis Canine, son second long-métrage réalisé en 2009, le réalisateur grec Yórgos Lánthimos frôle le parcours sans faute pour ses aficionados. Pourtant, ses derniers succès, The Lobster et Mise à Mort du Cerf Sacré n’ont pas su me convaincre, mais son dernier film s’offre un virage hollywoodien et un chouilla plus mainstream qui m’a totalement enthousiasmée. Le bien-nommé caracole en tête des nominations aux Oscars et aux Bafta avec 10 nominations dans chaque cérémonie, tandis qu’il parade déjà avec une double récompense de la Mostra de Venise 2018 (Grand Prix du Jury et Coupe Volpi pour Olivia Colman) et un Golden Globes, toujours pour Olivia Colman. Autant dire que La Favorite semble être le film à ne pas manquer… mais qu’en est-il vraiment, surtout quand on connait le cinéma plutôt lunaire du réalisateur ?

Inspiré par le règne de la Reine Anne (derrière héritière de la lignée (de Marie) Stuart), une femme oubliée, connue pour sa fragilité physique et mentale, ainsi que son incapacité à produire un descendant malgré ses 17 grossesses, Yórgos Lánthimos imagine la vie à la cour et met en scène la rivalité bien réelle entre Abigail Masham (Emma Stone) et Sarah Churchill, la Duchesse de Malborough (Rachel Weisz) pour obtenir (et conserver) les faveurs d’une femme de pouvoir au caractère orageux, tout en jouant de leurs influences autour du fameux traité d’Utrecht (accord de paix qui mis fin à la guerre entre la France et le Royaume Uni).
Démarre alors une lutte de pouvoirs personnelle et politique, hautement féminine, animée par une écriture ultra corrosive qui va dépoussiérer un genre qui a tendance à se regarder le nombril en se reposant sur ses costumes d’époque. Dès les premières minutes, La Favorite choisit un ton décalé, nourrissant les différences sociales de ses personnages. D’un coté, il y a une femme qui a perdu son rang et qui se retrouve à récurer les sols ; de l’autre, une rivale bien installée auprès de la reine et qui veille autant sur son confort que sur ses propres intérêts… Au milieu se trouve la femme la plus puissante d’Angleterre, qui oscille entre l’ennui, l’oisiveté et, soyons honnête, la dépression chronique.

Féroce, drôle et irrévérencieux, La Favorite nous délecte avec les nombreux rivalités et petits trafics qui se créent au sein du prestigieux palais, alors que – léger détail – La France et l’Angleterre sont en guerre et que le peuple meurt de faim. Le décalage entre le destin d’un pays et les ambitions personnelles électrisent une histoire piquante, grâce à ses personnages opportunistes et prêts à tout. L’ensemble est inattendu et original : le film de Yórgos Lánthimos fait un pied de nez aux films de genre, souvent trop classiques et feutrés pour livrer un objet baroque et délicieusement clinquant. La Favorite scrute l’incongru dans un monde où les apparences bienséantes priment et donne la parole à des femmes dont l’élégance contraste avec leur tendance à la fourberie.

C’est bien ce qui donne du corps au film : Yórgos Lánthimos dresse trois portraits de femmes hautes en couleurs, transformant leur féminité en arme de destruction massive à l’époque où elles n’étaient considérées que pour leurs appareils reproducteurs. Un brin féministe, La Favorite se joue des quelques hommes qui passent pour des petits joueurs face à ces brillantes maîtresses en manipulation qui tissent un scénario aux détours multiples et jubilatoires. Si les précédents films du réalisateur étaient trop abstraits pour moi, La Favorite m’a conquise par son traitement sans détour, habitée par des femmes féroces, charmeuses et entières. Historiquement, rappelons que le règne de la Reine Anne a précédé l’époque géorgienne qui a donné naissance à une mini-révolution féminine (incluant le droit à l’éducation des jeunes filles) et dont ont émergé une certaine Mary Shelley ou encore Jane Austen. Yórgos Lánthimos offre des personnages un poil précurseurs pour leur époque, mais dans le cocon intimiste, fastueux et isolé du palais royal.

Coté esthétique, comment peut-on faire un film d’époque sans se faire plaisir ? Si la qualité des décors et des costumes est forcément attendue au tournant, La Favorite s’imprègne habilement de l’élégance classique et de l’attitude rebelle des personnages du film. L’ensemble est superbe tandis que la réalisation de Yórgos Lánthimos est portée par des cadres élégants, faisant de chaque scène des tableaux incroyablement beaux. En parlant d’attitude, j’ai adoré certains moments qui sortaient du cadre rigide des films historiques : les prises de vue osant la lentille fisheye (format arrondi et globuleux), les larmes de crocodile d’Emma Stone qui joue les gamines capricieuses assise par terre, des techniques de danse étrange ou encore les séquences de tir aux dialogues grinçants et lourds de sous-entendus… La Favorite est un régal pour qui aime les jeux de pouvoirs à la fois subtiles, sournois et ambivalents dans une ambiance stylisée qui frôle souvent l’œuvre d’art.

Au casting, c’est la cerise noire sur le gâteau plein de crème fouettée.
Au centre de toutes les attentions, Olivia Colman (The Night Manager, The Crown, Le Crime de l’Orient-Express…) est royale, parfait mélange entre hystérie et fragilité, qui rend un personnage qui aurait pu être détestable ou anecdotique aussi touchant et important que ses deux comparses. En effet, Rachel Weisz (Le Jour de Mon Retour, Désobéissance, My Cousin Rachel…) et Emma Stone (Maniac, La La Land, Birdman…) s’affrontent impitoyablement : la première est excellente en femme fatale expérimentée, à la fois intelligente et capiteuse, et Emma Stone n’est pas en reste en incarnant une adversaire plus jeune mais qui ne manque pas de mordant. Ce trio d’actrices est absolument génial. Étant toutes nommées aux Oscars 2019, elles le méritent, mais puisqu’Emma Stone et Rachel Weisz sont dans la même catégorie, je pencherai pour cette dernière. Autour d’elles, Nicholas Hoult (X-Men Apocalypse, Mad Max: Fury Road…) et Joe Alwyn (Un Jour Dans L Vie de Billy Lynn…) tentent de jouer dans la cour des grands, tandis que James Smith (In The Loop…) et Mark Gatiss (Jean-Christophe & Winnie…) étoffent l’entourage secondaire.

En conclusion, La Favorite est un drame féministe, corrosif et surtout captivant à travers une lutte de pouvoirs féroce et un poil régressive, qui accentue le décalage entre les enjeux du pays et les convoitises personnelles des héroïnes. Loin d’être un énième film historique poussiéreux, Yórgos Lánthimos signe un film accessible, qui doit surtout à son ton acidulé et ses personnages scandaleux mais séduisants. À voir absolument.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s