Drame

[CRITIQUE] Juré N°2, de Clint Eastwood

Le pitch : Alors qu’un homme se retrouve juré d’un procès pour meurtre, il découvre qu’il est à l’origine de cet acte criminel. Il se retrouve face à un dilemme moral entre se protéger ou se livrer.

L’année dernière, Clint Eastwood (Le Cas Richard Jewell, La Mule, American Sniper, Sully…) a annoncé sa retraite et Juré N°2 étant comme son dernier film. Du haut de ses 94 ans, le réalisateur livrer un ultime film aux accents patriotiques, réunissant ses thèmes favoris : le sens du devoir, la bannière étoilée, la justice et la famille. Merica, f*ck yeah!

Avec Juré N°2, Clint Eastwood nous entraîne dans un drame judiciaire à haute teneur morale, où un juré se découvre lui-même coupable du crime jugé. Un postulat intrigant qui promettait un dilemme moral et l’exposition intéressantes des failles du système judiciaire. Malheureusement, ce qui aurait pu être une réflexion puissante sur le poids de la vérité et de la justice se mue en un exercice laborieux et prévisible, où le manque de subtilité laisse peu de place au parti pris.

Dès les premières minutes, le film opte pour un dévoilement rapide. En effet, la culpabilité du personnage principal est immédiatement exposée (bien que jamais totalement confirmée). Ce qui m’a dérangée, c’est que pendant tout le film, je ne pouvais m’empêcher de penser que si cette révélation était arrivée plus tard, cela aurait donné au film plus d’ampleur au drame, à l’image d’un thriller. Heureusement, là où Juré N°2 parvient à piquer ma curiosité en exposant d’emblée la charge morale qui pèse sur l’histoire. Doit-il dire la vérité au risque de tout perdre ou se taire et laisser un autre porter le chapeau ?

Le prix de la liberté s’oppose au cas de conscience. Pourtant, à mesure que le film avance, le dilemme du personnage, pourtant prometteur, se mue en une spirale de décisions souvent incompréhensibles, qui aggrave plus la situation qu’elle ne le sert. La tension, censée provenir du jeu de conscience intérieure de l’homme de devoir, s’épuise vite, tout comme mon intérêt pour un protagoniste qui s’enferme dans des actions répétitives et peu cohérentes.
En se focalisant presque essentiellement sur ce juré, Clint Eastwood effleure à peine l’opportunité de creuser les défaillances du système judiciaire, malgré une introduction qui en fait l’éloge abondamment. La galerie de personnages secondaires — jurés aux biais égocentrés avec justesse, mais plus enclins à juger qu’à comprendre — esquisse trop brièvement un portrait pertinent des dysfonctionnements de la justice, avant de se perdre dans une simili-enquête étrange, et surtout faussée, qui ne fait qu’agrandir les creux béants de l’histoire.

Clint Eastwood évite allègrement les écueils de son scénario pour éviter de tomber dans ses propres pièges. Ce parti pris de survoler le contexte et de simplifier le discours finit par donner l’impression d’un récit qui excuse volontiers les erreurs de son personnage principal, tout en condamnant sans nuances l’accusé, caricaturé comme une brute à la vie dissolue. Cette dichotomie, qui aurait pu illustrer une justice à deux vitesses et un système inégalitaire, est soigneusement évitée par Clint Eastwood, laissant le spectateur face à un parti pris qui semble prôner la rédemption pour certains, tout en ignorant l’élément humain de « l’autre camp ».

Par ailleurs, Juré N°2 souffre de longueurs qui étouffent la tension et freinent le rythme. Les scènes s’étirent dans des dialogues contemplatifs et répétitifs, et bien que les acteurs soient excellents, le récit n’offre que peu d’évolution ou de renouveau au dilemme central. Le traitement du personnage de l’accusé, réduit à un simple stéréotype sans voix, aurait pu être l’occasion d’enrichir la réflexion, mais là encore, Eastwood élude le potentiel critique de son sujet. À l’instar de son American Sniper, Clint Eastwood étale son point de vue conservateur dans sa volonté de justifier les actions de son personnage-type (l’homme Blanc aux apparences bien polissées et aux valeurs bien américaines) par un idéal supérieur, mettant ainsi en concurrence la vie d’un futur père de famille toute lisse vs celle d’un homme aux mœurs apparemment dissolues, au lieu de leurs innocences.

Néanmoins, le dernier baroud d’honneur de l’irremplaçable Inspecteur Harry, qui a souvent su nous éblouir avec des drames puissants (Gran Torino, Million Dollar Baby, Sur La Route de Madison, Mystic River…),  reste relativement honnête et cohérent dans sa filmographie, ainsi que son évident clin d’oeil au cinéaste Sidney Lumet, par envie de connaître le dénouement, mais aussi parce qu’il permet au spectateur de se questionner sur sa propre morale.

Au casting, heureusement, les promesses sont tenues : Nicholas Hoult (Renfield, Le Menu, Tolkien…) continue son ascension hollywoodienne en explorant à nouveaux un personnage lisse aux velléités plus complexes, tandis que Tony Collette (Nightmare Alley, Le Passager N°4, À Couteaux Tirés…) survole l’ensemble sans effort. Autour d’eux, on retrouve notamment Chris Messina (Le Croque-Mitaine, I Care A Lot, Birds of Prey…) et JK Simmons (The Union, Spider-Man : No Way Home…), chacun dans des personnages classiques dont ils maîtrisent chaque ressort. Autour d’eux, Zoey Deutch (Not Okay, Retour à Zombieland…), Leslie Bibb (Mon Père et Moi…), Gabriel Basso (The Night Agent, Les Intrus…) ou encore Kiefer Sutherland (Designated Survivor…) viennent compléter un casting solide, malgré des rôles souvent accessoires.

En conclusion, Juré N°2 se veut l’ultime réflexion morale de Clint Eastwood, mais son manque de nuance et ses partis pris conservateurs évidents laissent peu de place à une véritable profondeur. Ce dernier film, soigné mais prévisible, clôt la carrière d’un cinéaste iconique sans le souffle qu’on aurait pu espérer. À voir.

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