Comédie

[COUP DE CŒUR] Cruella, de Craig Gillespie

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Fun, novateur et osé, Cruella échappe à la revisite trop tendre de son personnage pour offrir une origin story assumée et revancharde, sur fond d’univers pop-rock (à défaut de punk). Si la musique, les décors et les costumes sont un régal pour les yeux et les oreilles, le film de Craig Gillespie est portée par un storytelling soigné et rafraichissant – pour un Disney – et une Emma Thompson stellaire.

Le pitch : Londres, années 70, en plein mouvement punk rock. Escroc pleine de talent, Estella est résolue à se faire un nom dans le milieu de la mode. Elle se lie d’amitié avec deux jeunes vauriens qui apprécient ses compétences d’arnaqueuse et mène avec eux une existence criminelle dans les rues de Londres. Un jour, ses créations se font remarquer par la baronne von Hellman, une grande figure de la mode, terriblement chic et horriblement snob. Mais leur relation va déclencher une série de révélations qui amèneront Estella à se laisser envahir par sa part sombre, au point de donner naissance à l’impitoyable Cruella, une brillante jeune femme assoiffée de mode et de vengeance…

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Parmi les personnages Disney les plus légendaires, Cruella De Vil (ou D’Enfer en VF) se place facilement en tête de peloton car on se souvient tous, ou presque, de cette femme à l’allure décharnée qui cherchait à kidnapper des chiots dalmatiens pour en faire un bandeau. Le noir et blanc, la touche de rouge, la cigarette… Ce personnage créé par Bill Peet et Tom Oreb pour le film de 1961 est devenu mémorable grâce à son look intemporel dont le coté classe détonnait avec le caractère vindicatif de la méchante Cruella. Adapté du roman de Dodie Smith (1956), Les 101 Dalmatiens est le 17e film des studios, réalisé à trois mains par Clyde Geronimi, Wolfgang Reitherman et Hamilton Luske et fait aujourd’hui office de pionnier dans l’histoire des studios Disney, notamment avec la scène de la course poursuite en voiture réalisée avec une maquette et l’utilisation de « l’ancêtre » de la photocopieuse. Après son succès à sa sortie, Les 101 Dalmatiens ont connue une série dans les années 90, deux suites animées et le fameux film en prise de vue réelle avec la mémorable Glenn Close dans le rôle de Cruella, sorti en 1996.

60 ans après sa première incarnation, les studios Disney puisent l’inspiration dans leurs tiroirs et proposent un film en prises de vue réelle qui revient sur l’histoire de cette fameuse Cruella. En effet, un bon film Disney ne serait pas aussi bon sans un vilain de taille, comme l’a prouvé le film Maléfique il y a sept ans. Encore faut-il avoir quelques choses à dire, car si les univers diffèrent, on ne peut pas ressasser la même origin story en changeant simplement les décors. Et ça, Craig Gillespie (Moi, Tonya, The Finest Hour…) l’a bien compris en transposant l’histoire de Cruella dans le Londres des années 70, bercé par l’influence punk rock et berceau de tendances intemporelles. Dès l’ouverture, le film se démarque par ses ambitions de rébellion, à travers une enfant déjà pas comme les autres et au caractère affirmé, qui refuse de se soumettre à la norme. Après le passage obligé de l’étape tragique et formatrice, Cruella se lance dans son récit décomplexé et audacieux qui ose égratigner les habitudes bleuettes et romantiques qu’on a l’habitude de voir dans les films Disney.
En effet, souvenez-vous du premier film Maléfique, même si j’ai beaucoup aimé ce film, le coté méchant de Maléfique n’était pas totalement assumé et noyé dans son cocon féérique, proposant des excuses pour justifier pourquoi Maléfique était aussi « méchante » et cherchant à se boucler à travers la rédemption. Bref, Maléfique fait office d’anti-héros accessible alors qu’on en faisait une méchante malgré elle.

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Avec Cruella, le ton est plus assumé. Quelque part entre folie douce, résilience, bagout et talent, le film propose un personnage marginal donc l’envie de poursuivre ses rêves va rapidement se transformer en quête vengeresse. Si le film est plutôt linéaire dans son traitement, Cruella réserve quelques twists en cours de route qui permettent souvent d’aggraver le ton, plutôt que d’aller du point A au point B sans surprise. Alors oui, on reste chez Disney, mais pour un produit estampillé Mickey, le coté rock’n’roll du film de Craig Gillespie accroche et donne un coup de pied aux formats trop consensuels et attendus, grâce à des prises de risques qui rende l’ensemble moderne, généreux et enthousiasmant à de nombreux niveaux.

Pas de romance, place au pouvoir et surtout, le pouvoir des femmes ! Car en effet, au-delà de son histoire, Cruella reste surtout le face-à-face jubilatoire entre deux femmes de tête, chacune prête à tout pour arriver à leurs fins. Entre le talent des actrices et l’écriture des personnages, Craig Gillespie livre un film à la fois drôle, cinglant et délicieusement insolent, comme l’était son dernier film Moi, Tonya, quitte à marcher sur les plates-bandes d’une Harley Quinn circa Birds of Prey. Et ça marche car l’ensemble est fun, neuf et assumé jusqu’au personnage de Cruella qui, finalement, reste une vraie méchante – si bien qu’après coup je trouve la version de 1961 trop douce !

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L’autre point fort du film c’est son univers hyper soigné, intégré dans les années 70 : il y a avant tout le coté mode du film, inspiré par l’époque sans pour autant faire déjà-vu. On ressent le coté graphique et avant-gardiste dans les costumes, déjà par les propositions dans le cadre de l’activité des personnages mais aussi dans leurs tenues « de tous les jours », jouant avec la géométrie des corps et des couleurs fortes et marquantes. Tout est beau, original et un brin décalé, en parfait opposition avec la vague hippie outre-Atlantique, pour jouer avec le coté sombre de l’histoire et de ses personnages, sans pour autant trahir son époque. Ensuite, les décors sont géniaux : Londres revisités, les défilés, le coté baroque et décadent qui côtoient souvent avec une architecture industrielle… Cruella est dans la rupture de ton, le mélange de genres qui, individuellement, sont déjà très prononcés et ça marche. Enfin, la musique parvient à éviter le coté radio schizophrène, une prouesse vue toutes les têtes d’affiches qui s’agglutinent sur la bande-originale. En parallèle de la chanson de Florence and The Machine qui fait office de chanson officielle du film avec « Call Me Cruella » pour accompagner les compositions de Nicholas Britell, Cruella fait évidemment appel à des artistes cultes, de Blondie aux Bee Gees, en passant par Queen, The Clash, Nina Simone ou encore Supertramp… En voilà une bande-originale qui fait plaisir !

Et puis aussi, toujours sur la même lancée de Disney 2.0, Cruella s’insère dans les modèles développés depuis, au moins, Raiponce, à savoir l’émancipation de ses personnages (souvent les personnages féminins) en refusant les modèles sociétaux et hétéronormés. Sans en faire des caisses, le film de Craig Gillespie distille des appels à la tolérance en glissant à nouveau et sans effort des personnages appartenant à des minorités ethniques ou à la communauté LGBT+. Cruella va même plus loin cette fois en remettant en question le rôle imposé à la femme, à savoir la maternité, qui, à première vue fait l’effet d’un twist servant le récit mais qui en regardant de plus près contribue à casser les codes réservés aux personnages féminins. Alors oui, on pourrait dire « oui mais ça reste un personnage controversé du film », ok, mais ça reste un point de départ je trouve.

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Vous l’aurez compris si vous êtes arrivée jusqu’ici, Cruella m’a conquise et pourtant je ne pariais pas un copec sur ce film. Mais au-delà des tableaux arty, je dois admettre que c’est surtout la performance d’Emma Thompson qui m’a fait chavirer. Quand on parle d’une femme puissante, terrifiante, issue du milieu de la mode au cinéma, forcément on pense à la fameuse Miranda Priestley, incarnée par Meryl Streep, du film Le Diable s’Habille en Prada, capable des plus belles phrases assassines balancées avec un calme olympien. Et bien je crois qu’on a trouvé une prétendante au titre, voir même une gagnante quand je repense au personnage de la Baronne Von Hellman. Déjà, Dame Emma Thompson (Men In Black International, Late Night, My Lady…) est une actrice absolument formidable, mais la voir dans ce rôle à la fois drôle, sadique, sans cœur et étrangement fascinante, c’était un véritable régal. Je pense qu’elle a volé la vedette à l’héroïne du film finalement, car même si Emma Stone (Retour à Zombieland, La la Land, Birdman…) est excellente, la relation mentor et élève semble avoir dépassé le cadre de l’écran. Peut-être qu’Emma Stone force un peu trop les mimiques pour souligner qu’elle est méchante, mais finalement, la tonalité extravagante du film parvient à adopter ces mini-dérapages cabotins.
Autour d’elles, on retrouve Joel Fry (Yesterday, Love Wedding Repeat…) et Paul Walter Hauser (Le Cas Richard Jewell, BlacKkKlansman…) qui incarnent respectivement Jasper et Horace, tout deux sympathiques – bien qu’en retrait – même si Paul Walter Hauser a eu du mal avec l’accent anglais tout du long.
À l’affiche également, un passage écourté d’Emily Beecham (Little Joe…), un Mark Strong (1917, Shazam!…) trop rare, ainsi que les présences discrètes de Kirby Howell-Baptiste (Why Women Kill, The Good Place…) et de Kayvan Novak (What We Do In The Shadows…) qui jouent des personnages dont l’issue a été, pour ma part, inattendue (je n’en dirais pas plus).

En conclusion, Craig Gillespie propose une origin story de l’infâme Cruella jubilatoire. Avec sa dimension rebelle, rock’n’roll et assumée, Cruella crée la surprise et m’a carrément séduite, alors que je m’attendais à du Disney classique. Ici le ton est franc, osé, dynamique et conquérant. Emma Thompson est la cerise sur un gâteau déjà gourmand, graphique et débordant d’excès. On aime – oui, car je suis plusieurs moi aussi. À voir absolument.

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