Le pitch : L’histoire de deux hommes dont la relation pourrait, peut-être, se transformer en une grande histoire d’amour. Peut-être. Il faut dire que ce sont des hommes très occupés.
On aime tous plus ou moins les romcoms : quelles soient gnan-gnan, bourrés de clichés, drôles, musicales, cultes ou même un poil dramatiques… tant qu’un homme et une femme destinés à être ensemble y parviennent, ça marche. Et oui, c’est ça le cinéma hétéronormé : on a eu des milliers d’exemples au cinéma, tous coulés dans un moule similaire. Au cours des années, le cinéma « mainstream » a appris à intégrer des minorités dans ces histoires, à travers des gens de couleurs, de la mixité et l’inclusion de romances LGBT en toile de fond. [Note de Dunnø : je continue de dire LGBT au lieu de LGBTQIA+ dans le reste de cet article.] En 2018 sortait le film Love, Simon de Greg Berlanti, où un adolescent devait assumer un coming-out forcé alors qu’il correspondait anonymement avec un inconnu. Sur fond de teen-movie, le film touchait du doigt un sujet sociétal toujours d’actualité : le coming-out et l’acceptation, mais également la peur du rejet, l’homophobie et le harcèlement scolaire. C’était une petite douceur dans le cinéma grand public, pour ne pas dire nécessaire, prouvant qu’il n’est pas toujours obligatoire de narrer des grands drames pour représenter la communauté LGBT.
Avec Bros, Nicholas Stoller (Nos Pires Voisins et sa suite, 5 ans de réflexion, Sans Sarah Rien Ne Va…) surfe sur la même tendance, mais dans une version un peu plus adulte. Et pourtant, l’accueil américain a été bien plus rude : le film a été la cible de nombreux détracteurs homophobes, mais également de beaucoup de critiques pointant du doigt les clichés liés à la sexualité des gays. Autant, je ne m’attarderai pas sur l’homophobie que je trouve criminelle et ridicule (je ne compte plus le nombre de « maintenant y a des gays partout » qui pullulent sur les réseaux dès qu’une nouvelle série Netflix débarque…), mais concernant les critiques sur les clichés : permettez moi de me gausser à gorge déployée !
Car des clichés, dans les comédies romantiques hétérosexuelles, il y en a à la pelle, et ce même allant jusqu’à glamouriser des comportements limites : l’homme ténébreux n’étant qu’une version romancée de la toxicité masculine, la nana fashion et carriériste pour continuer d’obliger les femmes à être belles et à se taire pour trouver un homme… Et j’en passe. S’il y a bien un genre cinématographique qui aligne des caricatures en rang d’oignon, c’est bien la comédie romantique.
Sauf que là, au lieu d’avoir Ryan Gosling torse poil devant une Emma Stone faussement farouche, on a des hommes tout aussi torse poil, parfois à deux, parfois à trois (ou quatre), qui s’embrassent et suggèrent l’acte sexuel (sans aller plus loin qu’une paire de fesses et encore). Rien de déconnant, au final, c’est même du déjà vu dans de nombreuses comédies romantiques hétérosexuelles et pourtant, dès qu’il ne s’agit pas d’un drame sur fond d’homophobie, de discrimination ou de SIDA, les films LGBT ont bien du mal à faire valoir leurs ambitions de légèreté. J’ai l’impression que dès qu’un film similaire arrive en salles pour le grand public, ça crie au scandale de tous les cotés parce que oui, les gays ne sont pas tous efféminés, ni partouzeurs, ni clubbeurs, ou autres… Mais c’est aussi ignorer ceux qui s’épanouissent dans ces soi-disant clichés et ceux qui, grâce à leur attitude assumée et revendiquée ont pu faire bouger les choses (on en parle dans La Revanche des Crevettes Pailletées). C’est comme affirmer que toutes les femmes s’habillent chez des couturiers, travaillent dans un magazine de mode, enchaînent les dates, ont un meilleur ami gay, etc… ou que les hommes sont tous machos, fans de sport, prêt à sauter d’un hélicoptère pour désamorcer une bombe de la main droite, tout en faisant un sudoku de la main gauche. Les clichés ont un fond de vérité à la vie dure, mais ils font aussi le cinéma, en nous faisant fantasmer sur ces modèles inaccessibles.
C’est pourquoi je suis partagée sur le film Bros. J’ai envie de célébrer le fait qu’un film ouvertement gay (et presque exclusivement gay) sorte en salles et soit distribué par un grand studio (Universal Pictures). Cependant, j’ai trouvé le film relativement classique dans sa trame : l’un ne croit plus en l’amour, l’autre l’évite comme la peste. On devine les ressorts rapidement, mais grâce à Nicholas Stoller et un acteur comme Billy Eichner, Bros se révèle assez drôle et conquérant dans la construction de ses personnages et de leurs relations. De plus, le film a conscience de l’âge de ses protagonistes et souligne dans un sous-texte subtil la difficulté de n’être « que » gay dans un monde où la fluidité de genre règne. Imprégné par son ambiance new-yorkaise, Bros a des allures de Sex and the City version masculine, en suivant les pas d’un personnage overbooké, entre ses restaus, ses amis et ses sorties en boites. Ça s’agite beaucoup dans ce film, et pourtant, il faut bien l’avouer, Bros n’a pas grand chose à dire dans cette intrigue mignonne, certes, mais cousue de fils blancs.
Et c’est donc là le problème. De la même façon que beaucoup de romcoms sont moyennes, le film de Nicholas Stoller ne fait pas vraiment d’étincelles. La question est : aurait-il dû en faire, en tant que film LGBT dans un cinéma « mainstream » hétéronormé ou peut-on accepter le fait que les films LGBT peuvent, eux aussi, être moyens et peu novateurs ? N’est-ce pas cela la normalité, finalement ?
Bros a la lourde de tâche de porter les couleurs d’un drapeau arc-en-ciel et se retrouve attendu au tournant, alors qu’il n’est finalement question que d’une simple comédie romantique cherchant à s’éloigner des codes hétéronormés. Ou, pour faire plus simple, le film évite soigneusement de servir du gay acceptable pour le grand public tout en assumant ses propres caricatures. C’est là que le film de Nicholas Stoller s’élève un peu, en parlant des homosexuels disparus de l’Histoire et de la place des gays d’hier face à la communauté LGBT d’aujourd’hui. Comme c’est si bien dit dans Bros : « nous on avait le SIDA, eux ils ont eu Glee ! ».
Au casting, ça se corse un peu, car il faut aimer l’énergie de Billy Eichner (American Horror Story, Le Roi Lion, Jamais Entre Amis…). Le comédien est connu pour sa vigueur et sa tendance à hurler au lieu de parler, cela peut être rédhibitoire. Et pourtant, il porte à merveille le rôle de ce célibattant par défaut qui cache sa solitude derrière un étendard cynique. Face à la lui, Luke Macfarlane (Brothers and Sisters, The Night Shift…) est parfait un f-boy bodybuildé qui lutte avec son identité. Autour du duo, on retrouve Dot-Marie Jones (Glee…), Monica Raymund (The Good Wife…), Jim Rash (La Femme Qui Habitait…) et Miss Laurence (Billie Holiday, Une Affaire d’État, Star…). À noter également, quelques caméos sympathiques de « potes de » : Debra Messing, Kristin Chenoweth, Guy Branum, Symone ou encore Amy Schumer.
En conclusion, Nicholas Stoller nous avait habitué à plus drôle avec ses films précédents. Malheureusement, avec Bros, on se retrouve avec une comédie solaire mais tout juste correcte, dont le point fort et différenciant est de raconter la rencontre entre deux hommes. C’est un peu court, jeune homme, comme dirait un certain Cyrano. À voir, ce serait-ce que pour soutenir l’amour LGBT dans le paysage hétéronormé et « mainstream ».