Le pitch : Le parcours du cannibale de Milwaukee, l’un des tueurs en série les plus connus aux Etats-Unis : de son enfance difficile à sa condamnation en 1992, et comment l’incompétence et l’apathie de la police lui ont permis de poursuivre ses crimes durant plusieurs années.
Créée par Ryan Murphy et Ian Brennan
Avec Evan Peters, Richard Jenkins, Penelope Ann Miller, Niecy Nash…
Disponible sur Netflix
Jeffrey Dahmer est un tueur en série qui a sévit entre 1978 et 1991. Cannibale et nécrophile, il fait partie des meurtriers qui ont beaucoup fait parler, pas uniquement à cause des actes commis, mais aussi parce que le fait qu’il ait pu agir aussi longtemps en toute impunité est la conséquence directe d’une Amérique raciste et homophobe (j’ai envie de rajouter « à l’époque », mais on va pas se mentir…).
En effet, si Jeffrey Dahmer s’en prenait essentiellement à des hommes de couleurs et gays, il aurait pu de nombreuses fois être arrêté : entre les plaintes de voisinage, un casier judiciaire déjà rempli et même une intervention de police qui aurait pu stopper le massacre, le tueur est passé entre les filets d’une justice trop gênée pour intervenir dans une « querelle entre amoureux » ou trop désintéressés par la disparition de quelques gays, issus de quartiers populaires et de minorité ethnique.
Après les faits, l’arrestation et les aveux de Jeffrey Dahmer, il reste une cicatrice béante là où aurait dû intervenir la justice. L’incompréhension du voisinage et des familles face à l’absence de réponses, par rapport à l’inaction de la police, s’ajoutent au fait que les policiers qui ont raccompagné la plus jeune victime de Dahmer chez son bourreau n’ont jamais été punis pour leur laxisme. Cela fait partie des nombreuses raisons pour lesquelles la série showrunnée par Ryan Murphy (American Horror Story, Pose, Ratched, The Politician, Feud…) a choqué la famille des victimes. Elles n’ont ni été consultées ni été compensées pour la création de cette série, mais restent cependant exposées au regain d’intérêt et la fascination morbide que peut susciter Jeffrey Dahmer.
Finalement, le choix de regarder ou non cette série vous revient, mais voici ce qu’il faut savoir :
- La série ne montre jamais en détail ni de façon explicite les actes commis par Jeffrey Dahmer. C’est dit et suggéré à de nombreuses reprises, mais Ryan Murphy nous épargne les détails les plus sordides. Les mots « cannibalisme », « nécrophilie » et « restes humains » suffisent à peindre un tableau suffisamment anxiogène. Vous ne verrez donc pas Dahmer entrain de percer le crâne d’une victime agonisante, ni le fameux totem humain qu’il gardait dans sa chambre, par exemple. Par contre, vous le verrez traquer, séduire et piéger ses victimes, ce qui m’amène au point suivant.
- La série se place plus souvent du coté des victimes que de Dahmer. A l’inverse du film Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile, de Joe Berlinger (2019), la série ne va jamais glamouriser Jeffrey Dahmer. Au contraire, Evan Peters incarne trop bien sa personnalité froide et sociopathe pour qu’on ressentir une certaine empathie pour ce personnage (à ne pas confondre avec l’empathie qu’on peut avoir pour l’acteur, ceci dit !). Le plus difficile a regardé reste donc ces victimes qui défilent : certaines pour quelques minutes, d’autres pendant tout un épisode. D’ailleurs, le pilote donne le ton à travers l’incarnation de Ronald Flowers et le long supplice mental qu’il subit en essayant d’échapper au tueur. C’est probablement le seul épisode où l’horreur psychologique frappera de plein fouet mais après cette mise en place, on se souviendra que chacune des victimes a connu le même supplice, la même peur viscérale de mourir avant de succomber. Et puis vient l’histoire de Tony Hugues ou encore celle de la famille Sinthasomphone avec lesquelles la série vient mettre le coup de grâce. Autour de ceux qui ont péri entre les mains de Dahmer, il y a aussi les victimes collatérales : d’une voisine désemparée aux familles détruites, la série donne aussi la parole à toute une communauté sous le choc face à l’atrocité des meurtres mais aussi devant une telle injustice aux ramifications insoutenables.
Ames sensibles s’abstenir, donc. Ce n’est pas la violence graphique qu’il faut craindre avec cette série, mais bien la violence mentale qui monte d’un ou plusieurs crans à chaque épisode.
Et pourtant, j’ai trouvé que cela permettait d’avoir une autre perspective autour du tueur en série. Etant moi-aussi attirée par ce sujet, je suis bien plus capable de détailler la façon dont certains tueurs en série ont été éduqué, quels sont leurs modus operandi et leurs victimes de prédilections… que le nom, justement de ces victimes. Avec tous les livres, documentaires et films qui abordent ce sujet, on va souvent vers le plus sensationnel et le plus choquant tant il y a de la matière à revendre. Dans cette « cultification » des tueurs en séries, on oublie l’étendue des dégâts, les victimes oubliées et les familles explosées par la tragédie.
Le seul élément que je reprocherai à la série, c’est la tentative, certes moindres, d’expliquer les actes de Dahmer. La série va mentionner une opération qu’il aurait subi enfant ou encore accabler le père qui se croie responsable à cause du hobby douteux qu’il entretenait avec son fils (la dissection d’animaux morts trouvés en bord de route)… La série occulte également les troubles morbides qu’a développé Dahmer dès le plus jeune âge, qu’il a noyé dans l’alcoolisme à l’adolescence (voir le film Mon Ami Dahmer, par exemple). Certes, il était étrange et incompris… Ceci dit, c’était un sociopathe.
L’autre point positif, après l’orientation du storytelling de la série, reste le casting. Habitué de l’écurie Ryan Murphy, c’est Evan Peters (Mare of Easttown, WandaVision, X-Men Days of Future Past…) qui incarne le tueur en série. Une personnalité qu’il connait bien puisque dans American Horror Story, notamment la saison 7, il a eu l’occasion d’en incarner plusieurs (Charles Manson, Jim Jones…). Fun Fact, dans la saison 5 d’American Horror Story, son personnage invitait les fantômes de plusieurs tueurs en série pour un dîner macabre et le fameux Jeffrey Dahmer faisait partie des convives. Moins drôle cependant, l’acteur a annoncé être épuisé mentalement par l’interprétation de ce type de rôles. Et pourtant, il est encore une fois excellant dans le rôle titre, ce qui trouble un poil le rapport qu’on peut entretenir face à son personnage.
Autour de lui, malgré la romantisation de son personnage, Richard Jenkins (La Forme de l’Eau, Nightmare Alley, Kajillionaire…) incarne brillamment ce père poignant et maladroit, tandis que Niecy Nash (Downsizing, Selma…) m’a un chouille agacée par sa performance en optant pour une interprétation un peu geignarde.
En conclusion, Monstre – L’Histoire de Jeffrey Dahmer est destinée à un public averti. Même si vous êtes friand de « true crime » et autres histoires disséquant les méfaits de tueurs en série, le show de Ryan Murphy est porteur d’une charge émotionnelle palpable et bouleversante, qui traduit admirablement bien toutes les horreurs commises sans avoir besoin d’avoir recours à des images graphiques. À voir.