Le pitch : Lily et ses trois meilleures amies, en terminale au lycée, évoluent dans un univers de selfies, d’emojis, de snapchats et de sextos. Mais lorsque Salem, la petite ville où elles vivent, se retrouve victime d’un piratage massif de données personnelles et que la vie privée de la moitié des habitants est faite publique, la communauté sombre dans le chaos. Lily est accusée d’être à l’origine du piratage et prise pour cible. Elle doit alors faire front avec ses camarades afin de survivre à une nuit sanglante et interminable.
De l’honorable TIFF 2018, où il a reçu le prix du Public, jusqu’à l’ouverture du PIFFF la semaine dernière, Assassination Nation a enfin débarqué en salles et je l’attendais beaucoup. Sam Levinson (scénariste sur Another Happy Day en 2010 et fils de Barry Levinson) fait un premier passage en roue libre derrière la caméra et livre une comédie noire à l’irrévérence jubilatoire douée d’une critique sociétale gravée à l’acide. Collision improbable entre le percutant mais cheap All Cheerleaders Die et l’ambitieux mais racoleur Spring Breakers, Assassination Nation modernise la chasse à la sorcière dans un Salem de nos jours alors que la vie privée des uns et des autres est révélée au grand jour.
Que se passerait-il si votre ordinateur était hacké et que vos secrets devenaient public ? C’est la question qu’explore Sam Levinson à travers un quatuor d’adolescentes modernes et modelée par le codes actuelles du paraître pour mieux aller jusqu’au bout de son concept. Le film s’intensifie crescendo, démarrant par des micro-séismes pour faire tomber des hommes de pouvoir avant de tirer dans le tas pour atteindre la masse. Assassination Nation pose un contexte déjà effervescent, cherchant déjà le contraste présent l’image puritaine de certains personnages en société et la réalité bien moins sage qui fourmille en sous-sol. Grâce à ses personnages en fin d’adolescence, le vivier crépite : sexualité, popularité, identité… autant de sujets qui définissent un décor graphique, laissant percevoir la bombe à retardements sur le point d’exploser. Avec son ton hyper frontal, Sam Levinson ne déçoit pas en dépeignant une société américaine (mais pas que) aussi trash qu’hypocrite qui va chercher un coupable au lieu de se poser les bonnes questions. Le film dénonce également un certain patriarcat moral alors que les quatre jeunes femmes sont pourchassées, érigées en tant que responsables par des hommes et souvent pour l’attitude de ces derniers.
L’ensemble est fulgurant, violent aussi bien dans les propos que dans l’exercice, tandis que la mise en scène lorgne vers le vidéo-clip avec une maîtrise souvent amateure mais inventive et surtout totalement assumée. Assassination Nation dénonce, se moque et observe, sans pour autant juger ni ses héroïnes ni leurs détracteurs, pour mieux immerger son spectateur dans cette folie chaotique, irrévérencieuse et en même temps saisissante de vérité, même dans ses détours extrêmes. En effet, Sam Levinson, à travers son récit, pointe du doigt les médias et internet, qui ont réduit les interactions humaines à son strict minimum noyé dans un monde d’apparences, tandis que les personnages sont tellement occupés à chercher un responsable que la vérité n’a plus sa place dans cette chasse aux sorcières. Autre temps, autre mœurs ? Pas vraiment, semble rappeler Assassination Nation.
Au-delà de son message, ou plutôt de ce qui découle de cet exercice virulent, Sam Levinson livre tout de même un premier film bien fichu, osé et punchy. Le film dépeint une jeunesse sans détour avec ses préoccupations toujours plus déchirées entre l’estime de soi, ses propres émotions et le qu’en dira-t-on, tout en jouant la carte du trashouille. Cependant, là où Harmony Korine était trop racoleur en transformant ses actrices en poupées sexuées pour vieux lubriques, Assassination Nation parvient à doser son aspect parfois insolent où la sexualité déborde, certes, mais s’inscrit dans une société actuelle dont les limites sont de plus en plus floues. De même, si Spring Breakers visait à peu près juste en questionnant la moralité de ses personnages et la liberté de s’assumer, l’ensemble était tellement noyé dans l’exercice de style et le graveleux qu’il en perdait toute substance. Ici, Sam Levinson a su se poser les bonnes questions en limitant ses effets pour se focaliser sur une histoire qui évolue vers un point de rupture inéluctable à une vitesse vertigineuse et une esthétique plus sobre, mais dotée de plans ingénieux et lourd de sens. Le réalisateur sait où poser sa caméra et propose des idées intéressantes, notamment quand il va inverser l’image pour finir sur un drapeau américain à l’envers, comme pour annoncer le basculement de son histoire.
Alors oui, parfois le traitement s’offre des détours discutables, comme ces 4 jeunes filles en fleur qui deviennent des pros de la gâchette ou encore cette ville qui devient fantôme au moment les plus dingues. Et pourtant, en fermant les yeux sur ces incohérences, c’est le cheminement de ces héroïnes pris à partie qui prend le dessus, faisant osciller le spectateur entre l’injustice ambiante et l’envie de revanche participative. Le film parvient intelligemment à éviter de poser un jugement de valeurs sur ces nanas, qui elles-mêmes sont loin d’être innocentes, pour dénoncer un ensemble déjà biaisé. De même, Assassination Nation est porté par une mise en scène costaude et des propositions intelligentes pour éviter le convenu et les pièges trop faciles.
Quelque part entre All Cheerleaders Die – avec ses pompoms-girls assassinées par une bande de mecs aux dessus des lois – et les ambitions dénonciatrices d’un American Nightmare – Anarchy – avec ces politiciens qui profitent d’une nuit ouverte aux crimes pour servir leurs propres intérêts -, Assassination Nation s’inscrit dans cette lignée de petites pépites noires, plus ou moins satyriques et indépendantes, qui illustrent une société hypocrite et au bord de la rupture, prête à exploser à la moindre occasion. Jubilatoire, mais aussi inquiétant.
Au casting : Odessa Young (Looking For Grace…), Suki Waterhouse (The White Princess, Divergente 2…), Hari Nef (You…) et Abra forment ce quatuor de choc, illustrant la jeunesse américaine dans une forme tout ce qui a de plus contemporaine et qui colle à l’actualité « à la mode » avec ses portraits féministes et LGBT. Un quatuor hétéroclite qui fonctionne plutôt bien à l’écran, même avec ses attitudes et le parlé hyper californiens. Autour d’elles, on retrouve quelques visages connus comme Bella Thorne (Midnight Sun, La Baby-Sitter…), Bill Skarsgård (Ça, Atomic Blonde…) et Joel McHale (Community…), ainsi que les débuts en tant que jeune adulte de Maude Apatow (fille de et vue dans En Cloque, Mode d’Emploi et 40 ans : Mode d’Emploi)
En conclusion, Assassination Nation est une excellent surprise. Sam Levinson signe une comédie noire hystérique et assumée, avec quelques défauts au compteur, mais une ambition éclairée et bien traitée qui donne du sens à cette folie irrévérencieuse. À voir !