Le pitch : Vincent et Sophie sont bouchers. Leur commerce, tout comme leur couple, est en crise. Mais leur vie va basculer le jour où Vincent tue accidentellement un vegan militant qui a saccagé leur boutique… Pour se débarrasser du corps, il en fait un jambon que sa femme va vendre par mégarde. Jamais jambon n’avait connu un tel succès ! L’idée de recommencer pourrait bien les titiller…
Humoriste à la langue acérée, adepte professionnel du politiquement incorrect, Fabrice Eboué fait rire jaune et grincer des dents à travers son écriture tranchante et son délivré faussement impassible. Scénariste (Inside Jamel Comedy Club…), metteur en scène (Amour sur Place ou à Emporter) et dénicheur de talents (Claudia Tagbo), Fabrice Eboué est rapidement passé derrière la caméra. Racisme avec Case Départ (2011), politique et colonisation avec Le Crocodile du Botswanga (2014) et religion avec Coexister (2017), Fabrice Eboué prend plaisir à explorer les thématiques qu’on aurait tendance à éviter lors d’un repas de famille et livre des films irrévérencieux et provocateurs – pour qui affectionne ce genre d’humour évidemment.
Pour ma part, je suis assez cliente de l’humour de Fabrice Eboué, qui fait souvent l’effet de cet oncle alcoolique dont on craint la parole dès qu’il ouvre la bouche en public. Sauf qu’à l’inverse, il joue des clichés et parvient à trouver le comique dans l’horreur de paroles ou de caricatures souvent extrêmement borderline. Si Le Crocodile du Botswanga m’avait laissé mitigée et que Coexister était bien plus sage, Case Départ m’avait fait hululée de rire en salles, alors que Fabrice Eboué et son acolyte Thomas Ngijol explosaient les limites de la morale bien-pensante en transposant le racisme ordinaire à l’époque de l’esclavage. Derrière l’humour cynique, ses films dérangeant, probablement à cause du fond de réalisme trop actuel qui accompagne souvent les propos controversés de ses personnages. Ca pique ? C’est normal.
Certes, il faut souvent plus que du second degré pour adhérer à l’humour mordant de Fabrice Eboué, mais l’effort vaut souvent le détour comme le confirme son dernier projet en date, Barbaque, qui vient s’attaquer à la nouvelle tendance sociétale : le véganisme. Alors que l’écologie et le bien-être animal devraient être des sujets moins secondaires, Barbaque met en scène un couple de bouchers, dont l’entreprise est aussi fade que leur relation, qui se font brutalement agresser par des militants végans. Entre envie de vengeance et de reconquête amoureuse, les films va littéralement s’aventurer dans une chasse à l’homme à la fois caustique, furieusement insolente et incroyablement hilarante.
On retrouve le ton pince-sans-rire de l’humoriste, capable de débiter ou de commettre des horreurs tout en conservant une légèreté, tandis que le film érafle aussi bien les producteurs de viande en masse, que les consommateurs aveugles (qui ne cherchent pas à tracer leur viande) et les activistes sectaires à la propagande têtue. Sous ses airs de constat sans véritable partie pris, Fabrice Eboué livre une comédie incisive, dont certaines réparties feront encore grincer mais c’est justement cette irrévérence qui donne à Barbaque une liberté rafraichissante. Le film ose mettre les pieds dans le plat, quitte à romancer le meurtre à travers ce couple improbable, nourris par une certaine fascination pour les serial killers (fascination dénoncée ici aussi en parallèle de reportages qui font échos aux nombreux documentaires qui pullulent sur le petit écran en sVOD).
Une chose est sûre, c’est que Barbaque ne peut pas laisser indemne à cause de sa tonalité crue et frontale, qui détonne avec son fond de romcom un poil perverse. On pourrait dire que c’est aussi l’histoire d’un homme qui cherche aussi bien à se reconquérir qu’à reconquérir sa femme tant Barbaque associe le macabre au charnel, comme si le film osait célébrer le retour à l’état primal de ses personnages. Pour ma part, j’ai trouvé le film aussi hilarant que dérangeant, dans sa façon de jouer avec les codes et le politiquement correct, tout en dénonçant un combat qui se mord la queue et s’enlise dans des actions sourdes dont on ne retient que le sensationnel.
Mais ce que j’apprécie surtout, c’est finalement la plume de Fabrice Eboué, plus vive et acérée que jamais – ce qui m’avait bien manqué dans Coexister, par exemple. Quelque part entre la peinture d’une vieille France caricaturale et l’audace colorée d’un C’est Arrivé Près de Chez Vous (1992), les dialogues sont un régal et la mise en scène frôle souvent le génie, entre des ralentis savoureux et des tueries jubilatoires. De plus, il faut apprécier le fait que Fabrice Eboué n’a pas négligé la conclusion de son film : là où d’autres auraient préféré rester dans leurs fantasmes, Barbaque reste proche de la réalité et offre un final crédible, ce qui ne gâche rien.
Au casting, le film doit beaucoup à son duo principal : Fabrice Eboué (Tout Simplement Noir, Coexister, Amour Sur Place ou À Emporter…) porte brillamment son film, épaulée par une Marine Foïs (Les Sauvages, Le Grand bain, Papa ou Maman 2…) absolument géniale en complice manipulatrice. Autour deux, Virginie Hocq (Deux Moi…) et Jean-François Cayrey (Tamara Vol. 2, Tokyo Shaking…) jouent les seconds couteux mémorables, tandis que Victor Meutelet (Emily In Paris, MILF…), Stéphane Soo Mongo (Le Crocodile du Botswanga…), Colette Sodoyez et Lisa Do Couto Texeira complète un ensemble efficace. Même le journaliste Christophe Hondelatte m’a fait douté sur la véracité de ces reportages – jusqu’à un certain point. Et mention spéciale à Tom Pezier, qui restera l’inoubliable Winnie 🙂
En conclusion, loin d’être une sempiternelle comédie française, Barbaque joue les enfants terribles dans une époque où le politiquement correct prévaut. Fabrice Eboué signe un film insolent et audacieux, à prendre avec des pincettes et beaucoup, beaucoup de second degré. À voir.