Sci-fi, Thriller

[CRITIQUE] Captive State, de Rupert Wyatt

Le pitch : Les extraterrestres ont envahi la Terre. Occupée, la ville de Chicago se divise entre les collaborateurs qui ont juré allégeance à l’envahisseur et les rebelles qui les combattent dans la clandestinité depuis dix ans.

Après avoir déserté les salles de cinéma, Rupert Wyatt revient avec Captive State. Le réalisateur s’était fait connaître en 2011 avec La Planète des Singes : Les Origines, mais n’a pas réalisé les suites car il ne parvenait pas à se mettre d’accord avec la Fox sur sa vision. En 2014, il récupère un projet abandonné par Martin Scorsese, le remake de The Glambler, qui s’effondre au box-office. Rupert Wyatt se tourne ensuite vers la télévision et produit la série L’Exorciste, non sans avoir essuyé un énième revers de médaille avec le projet Gambit qui traîne toujours dans les tiroirs de la Fox.
Entre désaccords créatifs et échecs commerciaux, on ne peut pas dire que Captive State partait avec les meilleurs atouts en poche, d’autant plus que le réalisateur produit et écrit le film en plus de le réaliser, ce qui laisse filtrer un investissement très personnel, ce qui va souvent à l’encontre de l’objectivité nécessaire pour faire un film (on le voit avec les films de M. Night Shyamalan quand il n’en fait qu’à sa tête). Quand on voit le résultat, on ne peut que soupirer de soulagement en remerciant la Fox de l’avoir laisser partir pour confier la suite de la prélogie La Planète des Singes à un réalisateur, Matt Reeves, qui sait à la fois raconter une histoire et tenir une caméra !

La première chose qui saute aux yeux, ou plutôt qui les brûle, dans Captive State, c’est cette image instable en permanence qui rend la lecture du film inconfortable. L’effet « shaky-cam » était sûrement voulu pour projeter le spectateur au cœur de l’action, mais la caméra qui bougeotte tout le temps, y compris pendant des plans fixes, donne surtout l’impression d’avoir à faire à un amateur de première. Cependant, cela aurait pu être compenser si le film n’avait pas été une catastrophe qui se délite sous nos yeux.
Alors que les premières minutes promettent un mélange d’action et de frissons dans un ensemble post-apocalyptique dressé sur fond de révolte, le principal souci de Captive State est son scénario brouillon et l’absence de mise en place nécessaire pour s’attacher (ou au moins s’attacher) aux (nombreux) personnages. Projeté dans un futur où des extraterrestres rarement visibles règnent en maîtres, obligeant les humains à travailler pour eux tout en les surveillant de près grâce à des implants, Captive State tente d’installer une tension à travers des bribes révélant les conséquences d’une rébellion qui a échoué. Après quelques lignes jetées sur un écran noir, nous voilà aux cotés d’un personnage qui ne rêve que de fuir Chicago – bien que l’invasion soit mondiale et qu’il porte un implant… cherchez l’erreur – et d’un policier qui cherche à le coincer. Si cette première partie manque parfois d’étoffe et de rythme, elle reste tout de même une introduction alléchante qui permet de tenir en haleine en espérant que l’intensité de l’ouverture du film fasse de nouveau partie du menu.

Et bien non, en cours de route, Captive State bifurque vers un autre aspect de l’histoire grâce à un twist aussi surprenant que la date à laquelle tombe Noël chaque année, et bifurque vers un thriller mal embouché qui va maladroitement ajouter plusieurs nouveaux personnages dans une chaîne événementielle mécanique. Le film entre alors dans le vif du sujet avec tout ce beau petit monde qu’on ne connaît ni d’Ève ni d’Adam et espère nous embarquer dans leur combat abstrait contre ces méchants vilains extra-terrestres qui, après plus d’une heure de film, jouent encore les timides.
C’est bien là le problème de Rupert Wyatt : plusieurs idées semblent se compiler dans son récit mais peu sont réellement développées. Difficile de croire à cette invasion d’aliens totalitaires quand on les voit jamais, encore plus difficile de s’attacher au sentiment de rébellion quand les conséquences de cette invasion sont encore plus abstraites. Cachés sous terre, les méchants E.T. régentent les humains dans un état policier – et encore, que ceux qui se trouvent dans un certain quartier de Chicago – entre travail, prostitution (?) et rapts inexpliqués. Et pourtant, malgré ce flou artistique, tous les personnages semblent concernés (comme le prouve leurs mines patibulaires et pas du tout suspectes, que heureusement personne ne remarque dans cette société ultra-surveillée…) et déterminés à se sacrifier pour leur cause qui, malheureusement, ne traversera jamais l’écran à cause d’une écriture qui n’approfondit jamais sa trame. Captive State porte les stigmates d’une réalisateur plus à l’aise sur le format série, puisqu’il ressemble à un épisode final d’une saison tant il manque des informations. Imaginez-vous découvrir le Red Wedding de Game of Thrones sans avoir vu les épisodes précédents : vous seriez probablement touchés par les mises à mort brutales, mais sans plus (contrairement au trauma de perdre autant de personnages auxquels on était attachés depuis le début, n’est-ce pas ?). Captive State fait le même effet : sans être narrativement désagréable, le sort des personnages – qu’ils réussissent ou se sacrifient héroïquement – laisse totalement indifférent, tandis que la conclusion file tout droit vers un format prévisible.

Le film de Rupert Wyatt ne m’a pas laissée sur ma faim, il m’a simplement lassée dès la première demi-heure. Visuellement plat, sans imagination, Captive State ressemble à un mélange remâché d’univers post-apocalyptique ou dystopique aléatoire, sans aucune strate ni saveur, tandis que l’imagerie est grisâtre, informe et souvent scolaire (pour ne pas dire grossière). Si on s’habitue à l’instabilité des cadrages qui donne l’impression de regarder un found-footage bon marché, la musique du film est bordélique et dépareillée, comme si on avait choisi les titres à l’aveugle sans chercher aucune cohérence. Dans l’ensemble, Captive State est déroutant car il n’est pas mauvais : entre les mains d’un réalisateur et/ou d’un scénariste plus habitué à ce mélange de genres, le film aurait pu être très bon et tomber à pic en parallèle à notre actualité empreinte de Gilets Jaunes et de révolte contre le système mis en place. Oui mais voilà, entre un trop-plein d’idées et une installation à trou, Rupert Wyatt livre un brouillon foutraque qui paie son absence d’imagination et de maîtrise narrative.

Au casting : Ashton Sanders (Moonlight, N.W.A. Straight Outta Compton…) semble en pleine crise d’adolescence « thug » tout du long, ce qui est étrange vu que son personnage ne semble avoir aucune référence culturelle pour cultiver cette attitude dans cet univers, mais bon… À ses cotés, John Goodman (Atomic Blonde, Kong: Skull Island, 10 Cloverfield Lane…) cachetonne péniblement et Vera Farmiga (The Passenger, Conjuring 2…) fait de même en ayant pris le soin de négocier un temps de présence très réduit – bien joué -, tandis que Jonathan Majors (Hostiles…) est tout sauf crédible. En toile de fond, Kevin Dunn (Veep, True Detective…), Madeline Brewer (The Handmaid’s Tale…) et Machine Gun Kelly (Nerve, Bird Box…) seront les quelques visages reconnaissables parmi une cohorte uniforme de personnages secondaires ou figurants qui vont défiler dans le film.

En conclusion, si on se posait la question, voilà peut-être un début de réponse sur les fameux différents créatifs entre Rupert Wyatt et la Fox : les quelques bonnes idées de Captive State sont engloutis par une narration mal fichue et une réalisation amateure. Et puis un film sur les invasions extra-terrestres qui n’offrent que deux scènes pauvrettes avec ses cactus aliens ou des figurants en costumes robotiques, franchement, c’est ni fait, ni à faire. À éviter.

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