Épouvante-horreur, Thriller

[CRITIQUE] Doctor Sleep, de Mike Flanagan

Stephen King peut enfin être tranquille : la suite de Shining est adaptée, et même sans avoir lu le livre, le découpage narratif de Doctor Sleep a tous les atouts mais aussi les défauts de l’adaptation académique. Globalement prenant du début à la fin, le film nous replonge dans l’univers du Shining avec un Danny Torrance adulte et à la recherche de sa place dans le monde. Entre magie et créatures voraces, Doctor Sleep propose un récit abouti, piqué par de beaux moments de frissons, noirceurs et suspens, tenus grâce à un trio principal étoffé. MAIS les 2h30 du film se font largement sentir laissant l’impression que certains pans du film paraissent dispensables, prenant le risque de trop bien porter son nom. Cependant, plus court, je pense que Doctor Sleep n’aurait pas eu la même intensité immersive, du coup si l’ensemble propose une expérience captivante et fidèle aux intentions de Stephen King, le film risque de décevoir par son manque de rythme et de terreur frontale.

Le pitch : Encore profondément marqué par le traumatisme qu’il a vécu, enfant, à l’Overlook Hotel, Dan Torrance a dû se battre pour tenter de trouver un semblant de sérénité. Mais quand il rencontre Abra, courageuse adolescente aux dons extrasensoriels, ses vieux démons resurgissent. Car la jeune fille, consciente que Dan a les mêmes pouvoirs qu’elle, a besoin de son aide : elle cherche à lutter contre la redoutable Rose Claque et sa tribu du Nœud Vrai qui se nourrissent des dons d’innocents comme elle pour conquérir l’immortalité. Formant une alliance inattendue, Dan et Abra s’engagent dans un combat sans merci contre Rose. Face à l’innocence de la jeune fille et à sa manière d’accepter son don, Dan n’a d’autre choix que de mobiliser ses propres pouvoirs, même s’il doit affronter ses peurs et réveiller les fantômes du passé…

En 1980, Stanley Kubrick adaptait un des romans phares de Stephen King, Shining, sorti en 1977. Une adaptation controversée puisque l’auteur n’a pas caché sa déception en voyant le résultat, tant le réalisateur s’était délibérément émancipé du récit pour proposer un thriller horrifique plus centré sur le père Torrance et l’angoisse du huis-clos. Pourtant, si le livre et le film ne sont pas si éloignés dans les grands lignes, la version cinéma a permis d’aborder l’histoire de façon plus digeste, en élaguant à la hache quelques passages. En allant plus loin, et pour les complétistes qui se seraient intéressés à l’œuvre de Kubrick et/ou vu l’excellent documentaire Room 237, Shining serait en réalité truffé de métaphores mystérieuses et de messages implicites dont le plus dingue serait qu’il serait à l’origine des images du premier pas de l’homme sur la lune !
Mais cela est un autre sujet qui n’empêche pas au film Shining de figurer parmi les films cultes du genre, ayant terrifié des générations entières. Près de quarante ans plus tard, c’est au tout du roman Doctor Sleep, la suite de Shining – L’Enfant Lumière, sorti en 2013, d’être adapté au cinéma sous la houlette de Mike Flanagan (Ouija : Les Origines, Jessie, Pas Un Bruit…).

Cette fois, pas question de berner à nouveau Stephen King : qu’on ait lu le roman ou non, le montage narratif ne laisse aucun doute quant au fait que Mike Flanagan s’est appliqué à adapter le roman à la lettre (ou plutôt : en évitant de réinterpréter, pour les plus tatillons qui passeraient par là). En effet, comme je le disais dans ma critique de Ça – Chapitre 2, la difficulté d’adapter un auteur comme Stephen King, c’est que son style est extrêmement descriptif. Par écrit, les allers et retours dans le temps, lieux et différents personnages sont plus abordables car le lecteur est libre de façonner son rythme de lecture si besoin. Cependant, une fois sur grand écran, cet aspect utile dans les livres peut rapidement alourdir une trame déjà dense. Inutile de préciser que voir ou revoir Shining est absolument nécessaire avant de se pencher sur Doctor Sleep. Si le film de Mike Flanagan revient sur les traces de l’histoire originale, il prend aussi le temps d’installer son décor et ses ambitions, avec une introduction directement plongée dans les années 80, puis fait quelques arrêts supplémentaires dans le temps avant d’arriver à nos jours. Quasiment divisé en trois parties, Doctor Sleep étoffe ses personnages principaux à travers leurs parcours, leurs quêtes, errances ou évolutions, cherchant à poser une base solide concernant les pouvoirs des uns et des autres avant de passer dans le vif du sujet. Une première partie d’ailleurs assez longuette, qui pèse souvent sur le dynamisme du film qui passe beaucoup trop de temps dans le passé mais qui s’avère finalement nécessaire pour resituer l’importance de Danny dans Shining. En effet, si le film de Kubrick était centré sur le personnage du père, le livre, lui, soulignait bien plus les pouvoirs de l’enfant et la façon dont ils amplifiaient le pouvoir de l’Overlook – c’est, d’ailleurs, le sujet principal du livre, passé à la trappe dans le film.

Le récit a une part prédominante dans Doctor Sleep, laissant une impression mitigée : les longueurs ont tendance à ampouler un ensemble déjà contemplatif, mais le résultat s’avère finalement abouti et permet l’installation d’une tension permanente, suscitant une avidité certaine dès la moindre apparition de l’antagoniste du film. Plus court, Doctor Sleep n’aurait été qu’une suite marketing de plus, précipitée dans de l’action horrifique fastoche pour satisfaire les afficionados du film d’épouvante pop-corn bankable. Ici, l’approche appliquée de Mike Flanagan a des airs de retours aux sources, à l’heure où le cinéma d’horreur mise plus sur le sursaut-minute, préférant faire gonfler une tension aléatoire et animer des personnages entiers et réellement utiles. Du coup, le film est prenant jusqu’au bout et la trame est aussi captivante que les quelques moments de frissons que Doctor Sleep dissémine avec parcimonie tout au long du film. Si les personnages sont nombreux, seuls le duo Danny et Abra face à l’inquiétante Rose The Hat animent le film, l’intrigue permettant une compréhension emphatique de leurs enjeux, si bien que leurs seules présences à l’écran suffit à faire basculer un récit bonhomme en une confrontation angoissante à mi-chemin entre le fantastique et l’horreur.

Si Mike Flanagan a doctement écumé chaque page du livre, coté réalisation, on est bien dans l’univers de Shining. Le réalisateur s’approprie l’univers mis en images par Stanley Kubrick, à travers des cadrages déstabilisants (l’image qui se penche, par exemple) et des influences sonores alarmantes (le battement de cœur…) qui viennent rythmer la lecture du film, intervenant comme des indicateurs de tensions plus efficaces que les nombreux et inévitables jumpscares. Visuellement, si Doctor Sleep repose beaucoup sur Shining – quitte à reproduire des scènes à l’identique avec d’autres acteurs ou à créer des scènes miroir, le résultat m’a plu. Quelques parts entre l’atmosphère gypsy et contemporaine du film, Mike Flanagan parvient à créer des moments à la fois curieux et angoissants, explorant au mieux la notion du Shining et ce qu’ils représente pour chaque protagoniste : la promesse de l’éternité et du pouvoir pour certains, l’opportunité de donner un sens à sa vie ou d’en sauver pour d’autres.
Cependant, devant tant de complexité, je ne peux m’empêcher de penser que Doctor Sleep aurait pu faire une excellente mini-série ou autre format un peu plus long qu’un simple film. Ceux qui ne connaissent que de Shining le film de Stanley Kubrick ou même les amateurs de films d’horreur d’aujourd’hui risquent d’être décontenancé Doctor Sleep, à cause du manque d’action et de son rythme lent. En parallèle d’une époque où les studios capitalisent sur d’anciens films cultes en les « soft rebootant » au cinéma pour conserver les mêmes codes que le support d’origine (Terminator Dark Fate, Alien Covenant, Halloween ou encore Star Wars), Mike Flanagan se démarque en proposant une suite au livre Shining et non au film. Du coup, l’ensemble est nettement moins dynamique que ce que les bandes-annonces laissent filtrer et pourtant pas vraiment déplaisant, surtout lorsque le film atteint sa dernière partie qui renoue pleinement avec un décor plus que familier – certes pas prévu, mais inévitable.

Au casting, c’est Ewan McGregor (Jean-Christophe et Winnie, T2 Trainspotting, Un Traître Idéal…) qui incarne Danny Torrance adulte, alcoolique et paumé, retrouvant ses marques dans le monde actuel via une échappatoire. L’acteur est, comme toujours très bon dans son rôle – qui fait souvent quelques rappels purement accidentels avec Trainspotting d’ailleurs ! Face à lui, Rebecca Ferguson (Men In Black International, Alex, Le Destin d’Un Roi, Mission Impossible : Fallout…) se plait dans les rôles de méchantes et s’amuse à nouveau dans cette incarnation d’une « sorcière » gypsy et dévoreuse de peur, parvenant à être menaçante et intrigante à la fois. Au milieu, on découvre la jeune Kyliegh Curran, actrice novice, qui tient bien la route entourée par ces acteurs d’envergure, parvenant à jouer avec les pouvoirs de son personnage de façon très convaincante.
Autour d’eux, on retrouvera Cliff Curtis (Hobbs and Shaw, En Eaux Troubles…) en side-kick passager, tandis que Carl Lumbly (Supergirl…) reprendra un rôle culte et Jacob Tremblay (Good Boys, The Predator…) marquera une scène particulièrement dérangeante. Seule Emily Alyn Lind (La Babysitter, Code Black…), malgré une introduction réussie, finira tristement dans l’ombre, aux cotés de Zahn McClarnon (Westworld…) ou encore Bruce Greenwood (Kingsman : Le Cercle D’Or…).
Un petit mot pour les performances de Alex Essoe, Roger Dale Floyd ou encore Henry Thomas (Jessie, Ouija : Les Origines – et bien sûr, Elliot dans E.T. L’extraterrestre…) qui reprennent les rôles principaux de Shining.

En conclusion, la suite très attendue de Shining s’avère finalement accessible à un public averti et patient. Si Doctor Sleep livre une suite immersive, captivante et fidèle, portée par des clins d’œil aux matériaux originaux et des scènes à la réalisation soignée, l’ensemble se complexifie à travers une adaptation trop appliquée qui crée de nombreux ventres mous et autres lenteurs qui alourdissent le film de façon conséquente. C’est un peu dommage mais loin d’être catastrophique, au contraire, j’ai aimé cette suite qui pourrait bien – imaginons-le – faire un lien avec le fameux Dark Tower, par exemple. À voir.

PS : plutôt que de réécrire certains passages, je préfère préciser que je n’ai pas lu le livre (d’où la précision « qu’on ait lu le livre ou non »). Pourquoi dis-je donc « à la lettre » ? se demanderait Captain Premier Degré qui passerait par là. Parce que j’ai gardé en tête la première impression que j’avais eu de Shining le film, alors que j’avais lu Shining le livre, et que je suis restée longtemps sans comprendre pourquoi ce film était culte alors que, pour moi, Kubrick n’avait rien compris au livre (tout comme je pense que De Palma n’a rien compris à Carrie, bref, autre sujet). Du coup, l’adaptation de Doctor Sleep me semble plus fidèle à cause de sa construction narrative qui fleure bon le support papier et le fait que Mike Flanagan ne réinterprète pas l’histoire à sa sauce – même si le dernier tiers est une liberté incontournable par rapport au livre (dont on trouve le descriptif complet sur internet, d’ailleurs). Alors peut-être que mes intentions n’étaient pas claires – ce qui est tout à fait compréhensible – et je laisse ma critique telle quelle (fautes de frappe en moins), mais je le répète : je n’ai pas lu le livre et je ne prétends pas l’avoir lu. Notons au passage que c’est un détail qui ne change pas mon avis sur le film, d’ailleurs u_u

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