Sci-fi, Thriller

[CRITIQUE] Les Crimes du Futur, de David Cronenberg

Le pitch : Alors que l’espèce humaine s’adapte à un environnement de synthèse, le corps humain est l’objet de transformations et de mutations nouvelles. Avec la complicité de sa partenaire Caprice, Saul Tenser, célèbre artiste performer, met en scène la métamorphose de ses organes dans des spectacles d’avant-garde. Timlin, une enquêtrice du Bureau du Registre National des Organes, suit de près leurs pratiques. C’est alors qu’un groupe mystérieux se manifeste : ils veulent profiter de la notoriété de Saul pour révéler au monde la prochaine étape de l’évolution humaine…

À près de 80 ans et plus d’une vingtaine de films depuis 1969, David Cronenberg a encore des choses à dire sur la nature humaine. Dans la lignée de ses films les plus sombres (La Mouche, Chromosome 3, Frissons, Stereo…), à la fois métaphoriques et angoissants où les corps se transforment jusqu’à en devenir difformes, Les Crimes du Futur propose une vision futuriste du bobo chic qui en serait venu à exploiter sous couvert d’art ce qu’il a de plus fondamental : sa propre chair.

Dans une atmosphère expérimentale et arty, David Cronenberg imagine un monde sur le déclin, des corps en extinction et des organes en pleine rébellion. La chair est devenue une matière stérile, un vestige matériel qui ne connait plus la douleur et dont les propriétaires en inventent une nouvelle utilité pour prétexter une nouvelle forme d’art. On dirait la version glauque et nouveau chic des « bobos parisiens » obsédés par la moindre parcelle de verdure et de bio alors qu’ils vivent et cultivent une société de plus en plus capitaliste et individualiste. Chez David Cronenberg, ces bobos chics vivent la nuit et évoluent dans l’ombre, en s’observant si littéralement le nombril qu’ils finissent par s’ouvrir le ventre pour explorer l’intérieur vu qu’il n’ont plus rien à conquérir à l’extérieur. Une caricature cynique qui résonne comme une possibilité ou un constat sombre qui cherche à provoquer : Les Crimes du Futur est aussi insaisissable que fascinant et aussi beau que dégoutant. Cette interprétation du corps rappelle évidemment son film culte La Mouche (1986), mais cette fois David Cronenberg s’exempte de toute justification et expose avec brio son témoignage d’une vie et son regard sur un monde de plus en plus malsain qu’il dissèque dans ses extrêmes.

Là où beaucoup imaginent la prochaine étape de l’évolution à l’image des mutants des films X-Men, David Cronenberg lorgne ce corps qui se dérègle ou se réadapte sans but précis, comme s’il était le résultat de notre société moderne après des années d’additifs inconnus mais ingérés par la nourriture, la pollution respirée et d’abus ou mépris général des ressources naturelles de notre planète. Le ton est fataliste, souvent glauque mais toujours élégant sous l’œil d’un de ces rares cinéastes qui parvient à faire du beau avec du laid.

Les Crimes du Futur se démarque avec sa photographie pourpre et ses décors organiques. Les objets inventés refusent les formes lisses, dures aux bordures savamment arrondies qu’on nous imposent partout d’aujourd’hui, pour devenir plus informes, bosselés et uniques, comme pour se modeler sur le corps humain de demain. Dans son film, David Cronenberg imagine un certain futur mais son récit résonne surtout comme un constat cinglant sur le monde actuel. Derrière ses mises en scènes artistiques, ses spectacles automates autour de la chair deviennent tristes et macabres, alors qu’ils semblent être le dernier niveau avant le néant, puisque la douleur n’existe plus et que le soleil semble avoir bel et bien verdit (petite référence à Soleil Vert de Richard Fleischer au passage). Que restera-t-il à transformer ou à contempler, une fois ces corps ouverts et maintenant que tout a été étalé sur une table ? Les Crimes du Futur a des airs de fin, mais laquelle ? Peut-être, comme il se dit en sorti de projection, le mot de la fin du cinéaste sur une belle filmographie.

Difficile de dire si on peut aimer ou non ce film mais, encore une fois, David Cronenberg livre une œuvre qui ne laisse pas indifférente. 

Au casting, David Cronenberg retrouve Viggo Mortensen (Green Book, Captain Fantastic…) pour la troisième fois après A History Of Violence, Les Promesses de l’Ombre et A Dangerous Method. Acteur et réalisateur se confondent à l’image et Viggo Mortensen livre une performance clivante, entre malaise et fascination. À ses cotés, Léa Seydoux (L’Histoire de ma Femme, Mourir Peut Attendre, The French Dispatch…) parvient souvent à donner le change dans les rôles où elle doit tirer la tronche constamment, forcément elle brille dans son personnage qui cristallise le bobo arty ultime à la mine perpétuellement hautaine. Cependant, à chacune des apparitions de Kristen Stewart (Spencer, Underwater, Charlie’s Angels…), celle-ci lui vole la vedette avec un personnage qui m’a curieusement rappelé sa Bella constipée des films innommables, mais dans une version bien plus inspirée. Autour d’elles, Don McKellar (Blindness…), Scott Speedman (You, Grey’s Anatomy…) et Welket Bungué (Target Number One…) vivotent dans les seconds rôles. La vraie star du film restant, finalement, ce corps en pleine métamorphose scruté à la loupe.

En conclusion, Les Crimes du Futur fascine et perturbe grâce à une mise en scène souvent dérangeante et un récit plutôt trouble. Pourtant David Cronenberg renoue avec ses premières amours de cinéaste et signe un film maîtrisant l’art de théoriser sur le présent tout en imaginant un futur crépusculaire. À voir. 

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