Fascinant, joueur et cruel, le nouveau film choral de Paolo Genovese continue d’explorer avec une justesse un poil vicieuse mais efficace les limites morales de ses personnages, ballottés entre le libre arbitre et leurs actions karmiques. The Place campe entre le bien et le mal, tissant une intrigue psychologique retors sous forme d’un huis-clos oral et original Intéressant, prenant et hautement musical en VO.
Le pitch : Un homme mystérieux, assis à la même table d’un café, reçoit la visite de dix hommes et femmes qui entrent et sortent à toute heure de la journée pour le rencontrer et se confier. Il a la réputation d’exaucer le vœu de chacun en échange d’un défi à relever. Tous se précipitent à sa rencontre. Mais pourquoi et jusqu’où iront-ils pour réaliser leurs désirs ?
Si le nom de Paolo Genovese est méconnu en France, il est à l’origine de l’un des derniers succès de 2018, à savoir le film de Fred Cavayé, Le Jeu, adapté de son original Perfetti Sconosciuti sorti en 2016 – film également adapté dans une version espagnole réalisée par Alex de la Iglesia, Perfectos Desconocidos.
Ce réalisateur Italien s’amuse souvent à disséquer les relations sociales et/ou familiales de ses personnages, cherchant à révéler leur nature profonde à travers des comédies plus ou moins dramatiques acérées et piquantes. Avec son nouveau film, The Place, Paolo Genovese pousse le vice un peu plus loin : dans un décor unique, la salle d’un bar-restaurant, un homme échange les désirs des gens qu’il rencontre contre des tâches à accomplir. Forcément, chaque demande comporte un lourd prix à payer, forçant les personnages à lutter contre leurs propres consciences. The Place questionne la solidité des convictions morales face à la possibilité enchanteresse de voir ses rêves se réaliser. Bien qu’ils aient tous le choix de renoncer, le film va peu à peu observer ses personnages se perdre face à un homme énigmatique qui compile, en silence, chaque détail sordide.
The Place a deux enjeux, et c’est ce qui rend cette dramédie vaudevillesque fascinante et tragique. D’un coté, des hommes et des femmes baignent dans des dilemmes moraux qui vont profondément les remettre en question ou les faire plonger dans un cercle infernal : un cambriolage pour devenir belle, un infanticide pour sauver son fils malade, une agression sordide pour retrouver la vue ou encore renoncer à ses vœux pour retrouver la foi… Paolo Genovese brasse des portraits multiples et variés – superficiels, désespérés ou penchant déjà du mauvais coté de la barrière – pour mieux scruter psyché vacillante de chacun, forçant à se poser la question du libre-arbitre et la capacité à se détourner de ses propres convictions pour obtenir ce qu’ils désirent. Entre analyse et perversion, The Place joue avec ses différentes histoires au fur et à mesure qu’elles s’imbriquent et se confondent, formant un puzzle insidieux aux résonnances parfois karmiques.
De l’autre coté, il y a cet homme, à la fois récipient froid des maux humains et observateur impartial mais pas si indifférent. Si le film ne révèle rien sur ce personnage énigmatique, The Place s’inspire du mythe de Faust – un personnage de littérature allemande ayant pactisé avec Méphistophélès et qui a vu son ambition disparaître avec son âme. S’il n’est (peut-être) pas le diable en personne, le personnage central de The Place reste néanmoins un intermédiaire impénétrable qui dicte les règles sans jugement ni tirer un quelconque plaisir au détour des conséquences des choix de ses interlocuteurs. C’est son attitude qui va trahir le poids des confidences qu’il consigne doctement, en attendant une issue de secours potentiel, alors que l’intrigue prend un virage de plus en plus machiavélique. Simple hasard ou marionnettiste invisible ? The Place se nourrit des vices de ses personnages, prenant un malin plaisir à croiser leurs intérêts et orchestrer l’inévitable chute. Malgré son recul distancié, le personnage central agit comme un baromètre émotionnel, trahissant une tension certaine et énigmatique autour de son rôle mystérieux mais clairement soumis à une obligation supérieure, pesante et incontournable. Comme Faust quand il a dû payer sa dette.
À travers ces deux fils conducteurs, The Place semble émettre un constat sardonique sur notre espèce, capable du pire même avec les meilleures intentions et en toutes connaissances de cause ou en niant sciemment l’évidence. Derrière une façade curieuse et moderne, Paolo Genovese propose une dramédie mélancolique et intrigante au fur et à mesure que ce puzzle particulier se met en place, omettant délibérément certaines pièces maîtresses pour mieux maintenir un scénario maîtrisé et captivant. The Place pousse à la réflexion et choisit intelligemment de mêler des rêves aussi frivoles que glorieux ou des personnages aux apparences vertueuses à d’autres ayant déjà un pied dans la criminalité, pour mieux explorer son idée jusqu’au bout et dessiner un portrait humain où noirceur et espoir vont de pair.
Au casting et au centre du film, Paolo Genovese retrouve des acteurs qu’il connait déjà bien : Valerio Mastandrea (Perfetti Sconoscutti, Fais de Beaux Rêves, Pasolini…) est excellent dans le rôle de cet homme, parvenant à faire passer ses émotions (ou absence de) malgré la particularité de son personnage qui réceptionne sans juger ni intervenir. Pourtant, le poids des confessions et des actes de ses interlocuteurs finit par peser dans chacune de ses paroles mesurées et une attitude juste. Face à lui défile une cohorte d’acteurs connus sur la scène italienne dont se démarquent Alba Rohrwacher (Heureux comme Lazzaro, Les Fantômes d’Ismael…) et sa piété marchandable, Marco Gialliani (Romanzo Criminale, C’est la Faute de Freud…) et son parterre d’échecs, Vittoria Puccini (Magnifica Presenza…) et son désir de passion ou encore Sabrina Ferilli (La Grande Bellezza…) qui incarne un tierce partie observatrice et étonnante.
En conclusion, Paolo Genovese signe une dramédie psychologique et sombre, animé par des échanges aux allures de pactes avec le Malin. Malin indeed, The Place est brillamment écrit et habité par des destins qui se croisent et bascule dans une ronde perverse, parfois attendue et pourtant captivante et efficace. À découvrir, et en VO pour le plaisir.