Le pitch : L’adaptation de la comédie musicale Cats. Une fois par an au cours d’une nuit extraordinaire, les Jellicle Cats se réunissent pour leur grand bal. Leur chef, Deuteronome, choisit celui qui pourra entrer au paradis de la Jellicosphère pour renaître dans une toute nouvelle vie.
Note personnelle : Généralement, quand je vais voir un film que je suppute mauvais, j’évite d’écrire dessus soit pour ne pas participer au bashing général, soit parce que j’exècre déjà l’objet mais que je cède toute de même à mes pulsions masochistes (comme les Twilight, les Paranormal Activity, les suites 50 Nuances de Grey…). Il y a beaucoup de films que je vois en ayant parfaitement conscience que ce sera une épreuve mais je n’écris pas d’avis ici, parce que j’aime à croire que je propose des critiques un minimum utiles et justifiées. Pour Cats, je fais une exception : je savais que le film n’allait pas être fameux, mais j’ignorais à pourquoi (au-delà du visuel des personnages) et jusqu’à quel point le film s’était perdu en cours de route. De plus, j’ai un point faible pour les « underdogs » et si Cats a un nombre incroyable de défauts, il est aussi le résultat d’un imaginaire débordant, délirant et incontrôlé qui s’avère, malgré tout, incroyablement fascinant. Ou terrifiant.
7 ans après le succès (controversé) du film Les Misérables, le réalisateur oscarisé pour Le Discours d’un Roi (2010), Tom Hooper (The Danish Girl…), revient à la comédie musicale pour adapter le spectacle Cats sur grand écran. De Chantons Sous La Pluie à La La Land, en passant par West Side Story, Grease, Chicago ou encore Moulin Rouge voir même The Greatest Showman, Hollywood a toujours eu un faible pour les comédies musicales inventées pour le grand écran ou adaptées de spectacles, surtout quand elles proposent un peu de fantasque et de magie exploitable à l’image. Du coup, l’idée d’adapter Cats n’était pas si saugrenue. L’idée de créer la mise en scène sous forme de trip LSD l’était par contre.
Loin de moi l’audace d’insinuer que Tom Hooper a succombé aux drogues dures, j’essaie juste de comprendre comment et pourquoi un tel résultat a pu arriver sur nos écrans. Ma curiosité malsaine est la seule raison qui m’a donné envie d’aller voir le film, car dès la première bande-annonce, Cats s’annonçait comme un malaise géant. La bonne nouvelle, c’est que le film tient ses promesses, la mauvaise c’est que j’ai perdu un peu (beaucoup) de respect pour les têtes d’affiche du casting. On y reviendra plus tard.
Cats est un OFNI (Objet Filmique Non Identifié) inexpliqué, mais pas forcément là où je m’y attendais. Les 94 millions de dollars qu’ont coûté le film sont mis à bon usage : il faudrait être de mauvaise foi pour nier la qualité des effets spéciaux et le travail fait sur les décors modélisés à l’échelle des félins. N’ayant pas vu le spectacle Cats, je ne peux que faire aveuglément confiance à Tom Hooper sur sa retranscription de l’histoire, alors que le film met en scène un groupe de chats errants, les Jelicle Cats, accueillant une nouvelle arrivante abandonnée par ses maîtres, avant de concourir (?) pour mériter l’honneur d’être ressuscité (!) dans une vie meilleure. C’est simple, un peu creux mais la comédie musicale est un succès sur les planches depuis les années 80, alors why not. Mais alors que s’est-il passé ?
Tout d’abord, il faut savoir que la comédie musicale ne raconte pas grand chose dans le fond : le récit se constitue des présentations de certains personnages à travers des tableaux collectifs, chantants et dansants, incluant l’introduction du « méchant », puis l’histoire se résout en deux coups de cuillère à pot, littéralement grasse à un tour de passe-passe. La majeure partie du film est donc une audition collective genre « Les chats ont un incroyable talent » pour s’attirer les faveur de la doyenne capable de les ressusciter, avant de tirer le rideaux. Le scénario est donc faible et repose sur beaucoup de contemplatif qui demandait, par conséquent, une mise en scène suffisamment puissante pour maintenir en haleine.
Le problème de Cats est justement là, dans ses choix de direction artistique délirants et sa mise en scène aberrante. On est loin de la mise en bouche déstabilisante mais enthousiasmante d’un Moulin Rouge, le film de Baz Luhrmann qui jouait déjà avec les décors et les ambiances musicales dès les premières minutes. Le film de Tom Hooper est un cumul de mauvaises idées qui enchaînent les fausses notes les unes après les autres, pour ne jamais atteindre l’harmonie nécessaire pour nous embarquer dans son récit.
En effet, dès l’ouverture, un minois de chat dessiné dans les nuages nous fait un clin d’œil, nous avertissant du désastre. Le gros point noir tient dans l’approche des chats : ce sont des acteurs recouverts de poils, attifés d’oreilles SUR LE CRÂNE, de queues de chats… (oui, comme dans un costume de Catwoman, mais poilu donc) Et de visages humains, avec des mains, des pieds, bref… Un corps humain. Ne pas conserver l’idée d’origine, à savoir des acteurs déguisés en chat, est compréhensible, tout comme le besoin marketing d’avoir des acteurs reconnaissables dans le films. Soit. À la limite, avoir des chats humanoïdes, pourquoi pas, mais ni le visuel, l’attitude, la gestuelle ou les mouvements constants d’épaules des personnages ne paraissent félins… ni même cohérents de n’importe quel point de vue (humain ou chat). En fait, je n’ai pas réussi à croire une seule seconde qu’ils s’agissaient de chats, malgré le grand renfort de miaulements et de queues qui frétillent. De plus, le parti pris des chats humanoïdes tombent à plat lorsqu’on découvre que certains personnages sont habillés et/ou chaussés, ce qui rend l’ensemble encore plus louche lorsque ceux qui sont habillés se déshabillent (sont-ils nus du coup ? Et les autres sont-ils nudistes à la base ? Les autres chats sont-ils des exhibitionnistes ? Et pourquoi le personnage de Judi Dench porte un gros manteau de fourrure ? En fourrure de quoi ???). Le malaise s’installe des l’introduction tant le résultat est ubuesque, suscitant de nombreuses questions quant à la logique narrative et scénique, alors que les personnages s’agitent en chanson pour se présenter et faire basculer Cats dans un spectacle aussi grotesque qu’étrangement hilarant.
En effet, au-delà de l’aspect de ces chats aux visages humains (et les cafards à visages humains qui se font dévorer vivant par des chats-humains, oui oui vous avez bien lu), le film s’enfonce dans une mise en scène enchaînant les séquences absurdes. Si on découvre plus tard que les moments en solo sont plutôt potables, dès que les minous chantent en chœur, les chorégraphies de Cats prend des airs de rêves hallucinés où se mêlent ballet, breakdance et autres pas chaloupés dans une cacophonie souvent imbitable. Les chansons se suivent, ne se ressemblent pas, oppressent par les trop nombreuses reprises de refrain (« jelicle this, jelicle that, jelicle song… » ça veut dire quoi « jelicle » ??) et atterrent soit à cause des changements de style (opéra-rock, balade, mélo…), soit a cause de la performance de certains (pardon, Dame Judi, mais… mes oreilles…). Ajoutons à cela le grain de folie qui transforment le tout en cauchemar éveillé : une sorte de sensualité mal placée, dérangeante et appuyée par une imagerie mal venue (tous les chats à quatre pattes et leurs queues se mettent à vibrer, un personnage se fait verser du champagne dans la bouche de façon un poil érotique, Judi Dench qui lève la patte de plaisir, les miaou-miaou qui s’élèvent en lieu et place d’applaudissements, Rebel Wilson dans toute sa personne…) qui transforment toutes les tentatives vaguement inspirées en tableau bizarroïde et effarant.
Alors oui, je m’attendais à un mauvais film… Mais le pire c’est que Cats n’est pas fondamentalement mauvais, ce sont les choix artistiques qui font de l’ensemble un gâchis foutraque et intersidéral. Au début, j’ai ri, oui je me suis moquée ouvertement, j’étais venue pour ça, mais rapidement le rire a fait place à de la consternation. Je me suis sentie à la fois horrifiée et parfois même gênée pour certains acteurs, car au milieu de visages peu connus, certains très familiers (Ian McKellen !) livrent des performances rendues navrantes par une écriture à pleurer.
Et pourtant, fascinée par ce spectacle hors du commun, j’ai trouvé que le temps passait vite – si on se demande un minimum jusqu’où ça va aller. Même si je dois avouer que la loooongue conclusion en tête-à-tête avec Judi Dench a failli me faire hululer d’angoisse, Cats s’inscrit comme un des rares derniers films réalisés en roue libre, peut-être une oeuvre qui sera considérée comme incomprise dans quelques années ? ou tout simplement une ambition mal formatée qui aurait pu être contenue dans le récit d’un trip halluciné d’un personnage tiers ? ou bien le film de Tom Hooper sera catalogué parmi les nombreux accidents industriels qui ont atterri sur grand écran et le marqueur de l’adaptation de trop ? Qui est fautif : le réalisateur Tom Hooper pour n’avoir pas su canaliser sa vision ou les différents scénaristes, producteurs et autres figures de l’ombre qui ont laissé faire, aveuglés par l’opportunité lointaine d’un Oscar à la clé ? Le mystère reste entier.
Au casting, commençons par les plus connus et avec tout le respect possible : Judi Dench (Le Crime de l’Orient Express, Indian Palace, Skyfall…, actrice renommée et d’habitude excellente, se retrouve dans la peau d’un personnage relooké comme un maquereau des années 80 avec un gros manteau de fourrure inexplicable. Une performance bien souvent gênante, surtout, malheureusement, quand elle chante. Ian McKellen (La Belle et la Bête, Le Hobbit, X-Men : Days of Future Past…) m’a réellement choqué dans le rôle d’un vieux chat de gouttière aux miaulements peu convaincants, quand on ne le voit pas laper de l’eau dans une assiette !
À l’affiche également, Idris Elba (Hobbs and Shaw, Thor : Ragnarok, La Montagne entre Nous…) incarne l’antagnostie, un personnage pas très clair, voulant forcé sa volonté alors qu’il possède, visiblement, des pouvoirs magiques (?), James Corden (Yesterday, Ocean’s 8…) et Rebel Wilson, tout deux médiocres, pataugent dans du fatshaming à effet pervers (puisqu’ils sont déjà ronds, on est sensés accepter le fait que ce n’est pas de la moquerie) – à noter que l’actrice Rebel Wilson (Le Coup du Siècle, Isn’t It Romantic…) parvient à franchir de nouvelles limites dans l’absence de dignité la plus totale. Quelques chanteurs se joignent à l’ensemble : Jason Derulo et Taylor Swift font des caméos plus ou moins embarrassants, tandis que Jennifer Hudson (Dreamgirls, Tous En Scène…) rode dans le coin avant de livrer un solo qui aurait pu faire mouche si l’actrice n’était pas rendu repoussante à cause de son maquillage, pour le coup, raté, et les litres – pardon – de morve qui lui coulent du nez (pourquoi ????).
Autour d’eux, un ensemble de seconds couteaux moins connus mais ayant un background solide en danse et en chant les accompagnent : Francesca Hayward, Laurie Davidson, Robert Fairchild et même les jumeaux danseurs, Laurent et Larry « les Twins » Bourgeois (Men In Back : International), sautilleront et gigoteront des épaules à l’envi dans cette parade sonore sans queue ni tête.
En conclusion, vous l’aurez compris, Cats est un objet incompréhensible et, par de nombreux aspects, assez raté. J’ai envie de croire que Tom Hooper a cru et a assumé sa vision farfelue jusqu’au bout, car finalement, au lieu de susciter un rejet total, Cats fascine aussi bien par son caractère absurde que par le choc qu’il provoque. Peut-être que cette prise de risque vaut finalement le détour… mais pour un public très averti, évidemment.