Comédie, Drame

[CRITIQUE] L’Origine du Mal, de Sébastien Marnier

Le pitch : Dans une luxueuse villa en bord de mer, une jeune femme modeste retrouve une étrange famille : un père inconnu et très riche, son épouse fantasque, sa fille, une femme d’affaires ambitieuse, une ado rebelle ainsi qu’une inquiétante servante. Quelqu’un ment. Entre suspicions et mensonges, le mystère s’installe et le mal se répand…

Après les très bons Irréprochable et L’Heure de la Sortie, Sébastien Marnier revient avec un nouveau film, à mi-chemin entre la comédie noire et le drame. Délicieusement cynique et cruel, L’Origine du Mal met en scène une cellule familiale complexe et divisée face à la santé déclinante du patriarche et l’arrivée d’une inconnue qui prétend être sa fille.

À travers la quête de cette femme cherchant à renouer avec son père, Sébastien Marnier tisse un un récit qui flirte parfois avec le thriller, tant chaque personnage laisse transparaître un mystère ou un non-dit que l’on pressent crucial pour la suite du film. L’Origine du Mal a la pétillance d’un « whodunnit » mais sans cadavre, tant la mise en scène donne l’impression que tout le monde est coupable d’un quelconque méfait. J’ai souvent pensé au film Huit Femmes de François Ozon, pour le coté frenchy et pompeux de cette famille aisée, dominée par des femmes aux caractères bien trempés et différents. Il y a également une touche sombre (et de saphisme) dans la forme qui rappelle un peu le cinéma de Brian De Palma ou de David Lynch.

En effet, même si j’ai été rapidement conquise par les personnages, le film cultive une ambiance malsaine et capiteuse, comme pour lever le voile sur les secrets d’une famille richissime et malheureuse. Alors que les camps s’affrontent autour du père de famille, les frontières entre la vengeance froide, la justice méritée ou la simple cupidité deviennent de plus en plus floues, au fur et à mesure que les personnages évoluent. Qui piège qui ? Qui est de mèche avec qui ? Certes il n’y a pas de cadavre à l’ouverture du film, et pourtant Sébastien Marnier s’épanouit dans des secrets de familles et des non-dits qui viennent entacher les apparences parfaites des retrouvailles père-fille et de cette famille tirée à quatre épingles qui semble attendre le point final de ce paternel dont on devine des restes de méchancetés.

Bien que l’ensemble souffre parfois de quelques longueurs qui vont notamment laisser transparaître des éléments de réponses bien plus tôt que prévu, L’Origine du Mal se découvre avec un grand plaisir, grâce à ses personnages aussi piquants que dérangeants. Sébastien Marnier continue d’évoquer la lutte des classes, ici avec son héroïne issue d’un milieu modeste qui côtoie soudainement une famille riche. Mais le réalisateur ne cherche pas la critique ni les clichés faciles (pauvres = gentils vs riches = mauvais). L’histoire s’intéresse bien plus aux relations troubles entre les personnages, en particulier ces femmes proches du chef de famille diminué à qui elles semblent en vouloir, dans un savant mélange de colère froide et de déférence respectueuse – ce qui rend l’ensemble toujours plus ambigu et surprenant.

Ce qui fascine au-delà du récit, c’est la minutie avec laquelle Sebastien Marnier a imaginé son film. Même avec la présence de smartphone, L’Origine du Mal semble parfois hors du temps, niché dans cette bâtisse débordant de cartons et surchargée d’un décorum éclectique (animaux empaillés, drapés, dorures…). C’est kitsch et en même temps particulier, alors qu’on devine, à travers cette démonstration matérielle, les troubles qui hantent la famille (entre achats compulsifs et dilapidation volontaire). La maison devient presque un personnage en lui-même, comme un témoignage silencieux des névroses, des conflits et du temps passés. À chaque nouveau plan, mon regard a été attiré soit par des cartons, soit par des objets loufoques qu’on imagine mal dans une maisonnée d’un tel calibre. D’ailleurs, même les tenues des personnages viennent souligner ce décalage. On pourrait penser que Sebastien Marnier en fait trop, mais au final, cette surenchère volontaire ajoute un peu plus de poids et de piquant à l’intrigue qui n’en finit plus de s’épaissir, jusqu’à un point final formidable et inattendu.

Au casting, que du bonheur : Laure Calamy (À Plein Temps, Une Femme du Monde, Antoinette dans les Cévennes…) m’a évidemment attiré dans ce film, mais j’ai adoré découvrir Dominique Blanc (Syndrome E, Patients, Réparer les Vivants…), Doria Tillier (Canailles, Présidents, La Belle Époque…) et Céleste Brunnquell (Les Éblouis, H24…) dans ce trio de femmes vénéneuses. Face à elles, Jacques Weber (En Thérapie, Le Monde d’Hier, Les Yeux Jaunes des Crocodiles…) n’en mène pas large et incarne à merveille ce patriarche aux apparences câlines qui devient de plus en plus malaisant. En retrait mais tout aussi importante, Suzanne Clément (Les Fantasmes, Le Jeu, Numéro Une…) vient apporter de la tension, tandis que le casting principal est notamment complété par Naidra Ayadi (Détox, Stillwater…) et Véronique Ruggia Saura (L’Heure de la Sortie, Irréprochable…).

En conclusion, il y a probablement mille et une jolies choses à dire sur L’Origine du Mal, mais finalement la meilleure façon de vanter ce film est de vous encourager à aller le voir. Sébastien Marnier se confirme comme un réalisateur à suivre, discret peut-être mais qui s’épanouit dans la complexité et vise toujours juste. À voir.

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