Biopic, Drame

[CRITIQUE] She Said, de Marida Schrader

Le pitch : Deux journalistes du New York Times, Megan Twohey et Jodi Kantor, ont de concert mis en lumière un des scandales les plus importants de leur génération. À l’origine du mouvement #Metoo leur investigation a brisé des décennies de silence autour du problème des agressions sexuelles dans le milieu du cinéma hollywoodien, changeant à jamais la société américaine et le monde de la culture.

Près de cinq ans après le début de l’affaire Harvey Weinstein, le film She Said est le premier long-métrage à revenir sur le scandale qui a été l’un des déclencheurs principaux du mouvement #Metoo. En effet, avant de s’attaquer à l’ex-producteur le plus puissant d’Hollywood, le cinéma américain s’est fait les dents sur une histoire similaire, avec l’autre ponte déchu un an plus tôt, Roger Ailes. Le film Scandale et l’excellente série The Loudest Voice sont revenus sur la chute vertigineuse de l’ex-PDG de Fox News et Fox Television en 2016 – décédé en 2017. Coté Weinstein, c’est plus compliqué car il faudra attendre 2020 pour qu’Harvey Weinstein soit condamné par l’État de New York à 23 ans de prison, tandis que d’autres procès sont toujours en cours dans deux autres États américains.

Adapté du livre écrit par les deux journalistes, Jodi Kantor et Megan Twohey, qui ont été les premières à révéler le scandale via le New York Times, le film She Said revient sur les détours d’une enquête aussi palpitante que bouleversante. Alors que je craignais un point de vue sulfureux surfant sur les paillettes hollywoodiennes, j’ai été agréablement surprise par le film de Maria Schrader (Stefan Zweig – Adieu l’Europe, Unorthodox, I’m Your Man…). En effet, She Said se révèle comme un film nécessaire pour comprendre les rouages d’un système permissif qui a réduit ses victimes au silence de la honte. Le film dévoile des rêves brisés en plein vol et des vies marquées par un trauma non reconnu, car en plus de l’agression sexuelle, She Said révèle une emprise puissante, masculine et tentaculaire qui a agi au service de l’agresseur et qui continue de se répercuter dans la vie de ces femmes condamnées à se taire.
Là où on aurait pu croire, moi la première, que Weinstein soumettait ses victimes en leur faisant miroiter une quelconque ascension, le film de Maria Schrader fait découvrir l’ombre d’un monstre libidineux et prêt à tout pour assouvir ses pulsions, entre enregistrements reconstituées et témoignages accablants. Entre pouvoir et machisme ambiant, She Said dénonce aussi bien l’homme évident que tous ses complices (actifs ou passifs par négligence ou commodité) qui ont contribué à renforcer les oubliettes dans lesquelles ont été jetées les victimes. Le plus dur étant de constater le climat de peur qui perdure, des années après les faits.

En choisissant de raconter l’enquête dès le début et en mettant volontairement de coté les noms connus (Rose McGowan, Gwyneth Palthrow, Ashley Judd), She Said rend ses protagonistes plus accessibles. Car le problème n’est pas qu’Hollywoodien, le problème couvre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, soit un sujet qui peut concerner n’importe quel spectateur. Même si certaines stars connues sont mentionnées, vues ou entendues (imitées), le film de Maria Schrader mêlent toutes ses femmes sous le même drapeau, qu’il soit marqué par le déni, la peur ou la colère, contre un homme qui sera volontairement (heureusement) peu montré.

Evidemment, avec un sujet aussi actuel qu’houleux, le film n’est pas exempte de défaut. Je regrette, par exemple, que l’histoire des deux journalistes – toutes deux mères de petites filles – ne soit qu’effleurer, contrairement à ce qu’avait proposé le film Spotlight en 2015. Leurs motivations, au-delà d’avoir flairer un bon scoop, ne sont pas creusées et ce qui force une certaine romantisation de leurs rôles dans cette affaire. Résultat, les protagonistes du New York Times ont une participation très mécanique, servant de liant entre l’histoire racontée et les témoignages recueillis. Malgré les bonnes paroles et l’empathie feinte, quand le personnage de Zoe Kazan fond en larmes dans le dernier acte, cela semble surfait puisque son implication émotionnelle n’est jamais vraiment traduite à l’écran. Au final, la réalisation est très académique, dédiée à relater une histoire clé-en-mains sans véritable effort autre que la quête du drama.

Ceci étant dit, même si She Said s’articule autour d’un scandale très hollywoodien, il met en lumière la façon dont les victimes sont forcées au silence et à l’oubli, pendant qu’un système permissif (et masculin, le plus souvent) continue de protéger les agresseurs qu’on soit à Hollywood ou à Perpète-la-zouille. Ce sont les témoignages de ces femmes qui font la force du film, tant elles sont accessibles et poignantes. She Said révolte surtout quand on réalise ou observe qu’il a fallu seulement une interaction malheureuse pour détruire des vies entières. Et surtout, le film pose une question cruciale, abordée dès les premières minutes : comment être entendu(e) quand un homme accusé publiquement par de nombreuses femmes a tout de même été élu Président des États-Unis ? Le pouvoir des hommes et de la fraternité patriarcale est encore trop présent et ne fait qu’étouffer la voix de ceux et celles qui le subissent. Aujourd’hui, même si l’affaire Weinstein est partiellement résolue, il est évident qu’il ne s’agit que de l’arbre qui cache une forêt de mensonges. Mais bon, il faut bien commencer quelque part, n’est-ce pas ?

Au casting : malgré le coté linéaire de la réalisation, les performances des acteurs sont souvent d’une justesse incroyable. Zoe Kazan (Clickbait, Un Hiver à New York, The Big Sick…) et Carey Mulligan (Promising Young Woman, The Dig, Collateral…) endossent le rôle mécanique des deux journalistes, entourées par Patricia Clarkson (Sharp Objects, Le Labyrinthe…) et Andre Baugher (Brooklyn Nine-Nine, Spirit : L’indomptable…).  Jennifer Ehle (Saint Maud, The Comey Rule…), Samantha Morton (The Walking Dead, Les Animaux Fantastiques…) et Ashley Judd (Divergente, Twin Peaks…) – ici dans son propre rôle – sont tout bonnement formidables.
À noter également la présence de Tom Pelphrey (Mank, Ozark…) et Adam Shapiro (Mes Premières Fois, Sense8…).

En conclusion, She Said redonne la parole volée aux victimes et dénonce un système qui protège les agresseurs dans un film à la réalisation certes académique voir un poil froid, mais au ton et sujet bouleversants et nécessaires. À voir.

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