Le pitch : Direction la Grèce pour le célèbre détective Benoit Blanc, qui doit élucider un mystère entourant un milliardaire de la technologie et son groupe d’amis hauts en couleur.
3 ans après l’excellent À Couteaux Tirés, Rian Johnson (Looper, Star Wars, épisode VIII : Les Derniers Jedi…) revient avec une suite indirecte, Glass Onion : Une Histoire à Couteaux Tirés, suivant le détective Benoit Blanc dans une nouvelle enquête.
Basé sur un scénario écrit en pleine pandémie, le réalisateur (et scénariste) tisse un nouveau « whodunnit » tentaculaire, égratignant à nouveau les riches, mais cette fois-ci, la catégorie des nouveaux riches. En effet, dans son premier film, Rian Johnson dressait le portrait plein de satyre d’une famille plus qu’aisée. Au détour de la mort mystérieuse du patriarche, le simili-Hercule Poirot du film, le détective Benoit Blanc, disséquait une dynamique familiale pleine de non-dits et autres jalousies ou ressentiments, pouvant les accuser du meurtre. Parsemé de twists, À Couteaux Tirés a brillamment dépoussiéré la formule classique et « Cluedo-esque » du genre « whodunnit » au service d’un polar teinté de comédie noire et de personnages excellents.
C’est donc avec beaucoup d’attentes que Glass Onion a débarqué sur Netflix, pile à temps pour Noël, comme un cadeau bien ficelé. Avec son nouveau chapitre, Rian Johnson refuse la facilité et ne livre pas qu’une simple redite de son dernier opus à succès. Si le fameux détective est de retour, c’est tout un autre tableau qui se dessine : durant la pandémie, un groupe d’amis très différents des uns des autres se retrouve sur une île privée, pour jouer à une « murder party » organisée par celui qui semble tous les rassembler. Dès le départ, Glass Onion s’amuse avec la notion d’énigme, depuis une invitation à thème jusqu’aux retrouvailles avec un Benoit Blanc désabusé, s’ennuyant en visio avec ses invités surprises – dont la regrettée Angela Lansbury. Le ton est différent puisque que le film prend le temps d’installer ses nouveaux personnages et leur dynamique de groupe.
Entre fausse légèreté et une touche de cynisme maitrisée, Glass Onion s’amuse à dresser des portraits accessibles et clichés, dans un étalage volontaire de bling plus ou moins de bon/mauvais goût : une ex-hit girl en perte de vitesse et son assistante/baby-sitter, un influenceur sur le tard et sa bimbo de compagnie, une politicienne et un ingénieur qui semble faire tâche et une mystérieuse cinquième roue du carrosse que personne ne s’attendait à revoir… Malgré la bonne humeur apparente, on devine rapidement qu’ils sont tous liés par leur relation avec leur hôte, un so-called business-man prolifique. Et puisqu’on est pas stupide, on se doute également que tous ont un secret à cacher à tout prix.
Si la première partie déroute par son approche bavarde et son cadre au tape-à-l’œil ostentatoire et assumé, Glass Onion n’est en réalité qu’un jeu de dupes qui ne fait que démarrer. On est loin de l’austérité sobre et snob d’À Couteaux Tirés, avec son manoir immense et ses personnages majoritairement bourgeois. Rian Johnson choisit de composer avec des arrivistes et des ambitieux de tous poils, liés par des rencontres quasi-accidentelles et, surtout, une loyauté tacite pour assurer leurs trains de vie confortables (ou presque).
D’ailleurs, si les personnages de Glass Onion font partie des points forts du film, il est plus difficile, cette fois, d’en trouver un plus attachant ou accessible. Rian Johnson s’applique à étaler puis à fustiger la superficialité et les valeurs (ou l’absence de valeur) discutables de chaque protagoniste. Les apparences sont trompeuses, certes, mais pourtant les failles sont aussi visibles que cette oignon cristallin dont les parois laissent tout de même en voir l’intérieur. De cette immense propriété remplie d’œuvres d’art et d’objets designs hors de prix jusqu’à l’ombre d’une amitié transparente, Glass Onion est une ode au paraître, trempée dans l’acide sulfurique, qui capte à merveille notre époque instagrammable et influençable.
Quand Glass Onion entre dans le vif du sujet et qu’une tragédie bien réelle vient frapper la tranquillité du groupe, il remet les compteurs à zéro. Tentaculaire, le récit va disséquer chaque personnage et ses différentes motivations qui les animent, pour mieux semer le doute. Au centre, le détective Benoit Blanc mène la danse tant on attend chacune de ses déductions qui feront avancer (ou non) une intrigue nébuleuse et imprévisible. Qui ment ? Qui trompe ? Qui est mort ? Rien n’est certain dans Glass Onion, sauf qu’on se régale du début à la fin !
Rian Johnson livre un film polarisé et inventif au rythme maîtrisé, parvenant à faire oublier À Couteaux Tirés sans effort. Les plans joue avec la transparence des lieux et le bling des décors, dans un chassé-croisé habile entre ombres et lumières. Derrière ce whodunnit ingénieux, le réalisateur cristallise des personnages dévorés par leur gloire, ou plus souvent leur rêve de gloire. Briller sans talent, briller facilement ou briller en mentant, c’est le mal du siècle que ce soit à travers les réseaux sociaux, en affaires ou en politique. Mais l’ambition peut avoir un coté obscur, et celui-ci s’est infiltré dans ce groupe d’amis improbables, testant la loyauté des uns mais aussi l’esprit de revanche des autres. De révélations en révélations, Glass Onion porte bien son nom tandis que chaque couche étoffe l’intrigue. Même si les plus fins pourront facilement deviner le ou les coupables, le film réserve suffisamment de surprises pour maintenir en haleine jusqu’au bout.
Seul bémol finalement, c’est que j’étais bien contente de voir ce film chez moi sur Netflix, car j’aurai moins apprécié les quelques longueurs coincés en salles. Heureusement le coté feuilletonnant de Glass Onion permet d’assurer le rythme… et les pauses. Ceci étant dit, à choisir, j’ai préféré À Couteaux Tirés pour son coté old school.
Comme pour le premier opus, Rian Johnson s’entour d’un casting alléchant : Daniel Craig (Mourir Peut Attendre, Kings, Logan Lucky…) reprend le rôle du détective à l’esprit vive et aux élucubrations qui feraient rougir l’inspecteur Columbo de mon enfance – cette fois, avec un accent et un phrasé moins prononcé. Autour de lui, Edward Norton (The French Dispatch, Brooklyn Affairs, Alita: Battle Angel…) et Kate Hudson (Music, Kung Fu Panda 3…) portent des rôles qui leurs vont bien, la géniale Kathryn Hahn (WandaVision, Spider-Man: New Generation…) aurait mérité plus de mise en avant, tout comme le personnage de Leslie Odom Jr. (Many Saints of Newark, Hamilton…), tandis que Dave Bautista (Thor: Love and Thunder, Dune…) trublionne comme un gamin, les pectoraux à l’air. La star du film reste Janelle Monáe (Antebellum, Les Figures de l’Ombre…), toujours inattendu dans ses rôles au cinéma, avec son personnage à contre-courant qui refuse de participer à l’allégresse générale et agit comme le catalyseur principal de la tension latente tout au long du film.
À l’affiche également, Madelyn Cline (Boy Erased…) et Jessica Henwick (Underwater…) gravitent aux seconds plans, tandis que Rian Johnson s’offre des caméos surprenants : Ethan Hawke, Hugh Grant, Angela Lansbury… et d’autres, mais je n’en dirai pas plus.
En conclusion, alors que la saga Scream s’essouffle (malgré un sixième opus prévu pour 2023) et que Kenneth Brannagh prend la poussière avec ses différentes reprises des aventures de Hercule Poirot (Mort sur le Nil, Le Crime de l’Orient-Express…), Rian Johnson prouve à nouveau que le « whodunnit » peut sortir des sentis rebattus et jouer avec les codes, grâce à un scénario malin et affûté. Si Glass Onion fustige à nouveau le milieu aisé, l’ensemble se renouvelle avec brio à travers une histoire bien rôdée et une horde de personnages aussi détestables que jouissifs. À voir !