
Le pitch : En 1942, convaincus que l’Allemagne nazie est en train de développer une arme nucléaire, les États-Unis initient, dans le plus grand secret, le « Projet Manhattan » destiné à mettre au point la première bombe atomique de l’histoire. Pour piloter ce dispositif, le gouvernement engage J. Robert Oppenheimer, brillant physicien, qui sera bientôt surnommé « le père de la bombe atomique ». C’est dans le laboratoire ultra-secret de Los Alamos, au cœur du désert du Nouveau-Mexique, que le scientifique et son équipe mettent au point une arme révolutionnaire dont les conséquences, vertigineuses, continuent de peser sur le monde actuel…
Parmi les films les plus attendus de 2023, le dernier film de Christopher Nolan s’imposait en tête de liste. Le réalisateur britannique suscite un certain engouement chez le grand public depuis sa trilogie Dark Knight qui proposait un autre genre de films de super-héros, face au rouleau compresseur Marvel. Et pourtant, Christopher Nolan rassemble depuis ses premiers films, depuis Memento jusqu’à l’excellent Le Prestige – que je considère à ce jour comme son meilleur film. Post-Batman, les films de Christopher Nolan fédère et divise, entre les fans d’Inception vs les fans d’Interstellar ou encore ceux qui ont compris Tenet ou ceux qui le trouve surcôté, avec au milieu un Dunkerque plus discret.

Avec Oppenheimer, Christopher Nolan se lance dans son premier véritable biopic, allant à la rencontre de « père de la bombe atomique », celle qui a décimé Hiroshima et Nagasaki durant la seconde guerre mondiale, avant de démarrer la guerre froide entre les Etats-Unis et la Russie. Véritable avancée pour l’humanité ou prologue d’un futur apocalyptique, le sujet de la création de la bombe atomique est aussi complexe que houleux, ce qui explique potentiellement la longueur (pourtant raccourcie) du film qui accuse bien ses 3h01.
En se reposant sur le livre « American Prometheus: The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer » de Kai Bird et Martin J. Sherwin propose une immersion dans le parcours de J. Robert Oppenheimer autour du fameux projet Manhattan. Le film se chapitre au cours de ces trois heures : la première introduit l’homme de science et sa soif d’apprentissage, alors qu’il parcourt l’Europe pour s’instruire auprès des plus grands avant de ramener la physique quantique sur le continent américain, la seconde immerge le spectateur dans le Projet Manhattan et la création de Los Alamos, tandis que la dernière heure constate l’exposition des ambitions politiques et l’homme prendre le pas sur le scientifique. C’est pas clair ? C’est normal. Oppenheimer fait partie de ces films qu’il faut voir pour le vivre et le comprendre.

Christopher Nolan propose une plongée immersive dans un pan de l’histoire. Entre course contre la montre et défi personnel, le réalisateur amoureux des lois de la physique illustre à merveille les enjeux pluriels des personnages. Le démarrage n’est pas facile car le film manque de repère dans le temps et lance plusieurs fils conducteurs à la fois. Cependant, dès que le héros se lance dans la construction de la bombe H, le récit devient un chouilla plus fluide et moins éparpillé dans sa narration. Oppenheimer est un film à rouages qui s’enclenche lentement mais sûrement, pour faire avancer une grosse machine, pleine de tensions, de guerre d’égos et d’impression de vivre un moment déterminant de l’Histoire qui transpire à travers l’écran. Si vous n’êtes pas immédiatement assommé par l’ampleur du récit, Oppenheimer devient passionnant. Alors que les deux premiers actes sont dévorés par la partie scientifique et l’aspect géopolitique du récit, la dernière partie va, elle, ramener l’humain au centre, le plaçant face à ses questionnements (tardifs) et surtout les conséquences terribles de ses travaux. Le film pose la question de la responsabilité du scientifique et de l’homme, opposant la nécessité d’une telle arme versus l’énorme avancée scientifique qui, si les US n’avaient pas pris les devants, aurait pu tomber entre d’autres mains et changer la face du monde actuel. L’ensemble dévoile en bout de course des accents thrillers autour de ficelles discrètes qui se sont agitées en sous-sol, entre délires d’égo et de paranoïa, dans un monde d’hommes et de pouvoirs souffreteux, consciencieusement observé à la loupe.

À la réalisation, Christopher Nolan est comme souvent méticuleux. Simple et propre, le cadre est souvent austère pour laisser la part belle aux esprits érudits. Annoncé sans effets spéciaux (en dehors de l’inévitable travail en post-prod, bien sûr), Oppenheimer tease le moment attendu à travers des inserts chimériques. La photographie est accrocheuse, sans effort autre que des passages en noir et blanc classieux ou un travail de texture pour mettre en haleine avant l’éblouissement. C’est finalement le travail au niveau du son qui va surprendre et donner toute la dimension impressionnante du film, entre fascination et abasourdissement. Et pourtant, cette partie n’est qu’un moment parmi d’autres. Un choix qui pourrait en rebuter plus d’un, donnant l’impression d’avoir assister à des heures de palabres pour une explosion à la clé… Sauf qu’il s’agit d’un biopic sur J. Robert Oppenheimer et non sur la création même de la bombe ! Coté musique, le réalisateur retrouve le compositeur Ludwig Göransson, avec qu’il avait déjà collaboré pour Tenet.

Au casting : Cillian Murphy (Peaky Blinders, Sans Un Bruit 2, Anna…) incarne le rôle titre, l’acteur est méconnaissable et excellent dans le rôle du physicien, partagé entre ses ambitions personnelles, ses choix de vie et le rôle déterminant que va jouer l’issue de son travail. Autour de lui, on retrouve Matt Damon (Air, Le Dernier Duel, Stillwater…) et Robert Downey Jr. (Le Voyage du Docteur Dolittle, Avengers – Endgame, Spider-Man: Homecoming…) en marionnettistes plus ou moins implicites. Le casting est également composé d’une large cohorte de bonhommes blancs très sérieux en costards sombres, beaucoup d’habitués de la fameuse rotation de Christopher Nolan, dont Jason Clarke (Le Diable, Tout le Temps, Simetierre…), Rami Malek (Amsterdam, Mourir Peut Attendre…), Kenneth Branagh (Mort sur le Nil, Tenet…), David Dastmalchian (Dune, The Suicide Squad…), Jack Quaid (The Boys, Scream…), Dylan Arnold (Halloween Kills, After: Chapitre 1…), Benny Safdie (Star Wars: Obi-Wan Kenobi, Licorice Pizza…), Dane Dehaan (The Staircase, A Cure For Life…), Josh Hartnett (Operation Fortune : Ruse de Guerre, Un Homme en Colère…) ou encore Gary Oldman (La Femme à la Fenêtre, Mank…), pour n’en citer quelques-uns.

Coté femmes, on est loin de la parité ni de la réussite du test de Bechdel, seules Emily Blunt (Jungle Cruise, Le Retour de Mary Poppins, La Fille du Train…) et Florence Pugh (Hawkeye, Don’t Worry Darling, Midsommar…) parviennent à s’illustrer, mais j’ai quand même envie de dire qu’il y a un beau gâchis de talents, quand je vois deux actrices phénoménales réduites à des apparitions aussi moindres.
En conclusion, après le fabuleux Interstellar, Dunkerque puis Tenet, Christopher Nolan continue d’explorer le temps et les moments historiques passés ou futures qui façonnent d’une manière ou d’une autre l’humanité (ou les personnages qu’ils racontent). Avec Oppenheimer, le réalisateur signe un film fastidieux, passionnant et dense qui, si on y accorde l’attention qu’il mérite, pourrait bien être un des meilleurs films de l’année… et de la filmographie du cinéaste. À voir.

