
Le pitch : Elly Conway est l’auteure solitaire d’une série de romans d’espionnage à succès, dont l’idée du bonheur se résume à une soirée tranquille à la maison avec son ordinateur et son chat, Alfie. Mais lorsque les intrigues de ses livres, centrés sur l’agent secret Argylle et son combat pour démanteler un réseau d’espions mondial, commencent à ressembler étrangement aux opérations secrètes d’une véritable organisation d’espions, sa tranquillité ne devient plus qu’un souvenir. Aux côtés d’Aidan, un espion pourtant allergique aux chats, Elly n’hésite pas à embarquer Alfie dans son sac à dos pour mieux se lancer dans une course contre la montre aux quatre coins de la planète afin de distancer de dangereux tueurs et empêcher ses fictions de dépasser la réalité.
Si de nombreux réalisateurs sont connus pour un genre en particulier, que ce soit l’action, l’horreur, la comédie ou autre, la plupart tente un minimum de proposer de la nouveauté, même si leurs styles restent reconnaissables. Ainsi un Michael Bay est associé aux films d’actions testostéronés et rythmé par des explosions et des prises de vue vertigineuses, tandis qu’à l’opposé un David Fincher se reconnait par sa soif de thriller à la tension mordante et une mise en scène souvent froide (y compris dans la photographie) et méticuleuse. Chaque réalisateur a ses propres gimmicks : palette de couleur et plans symétriques pour Wes Anderson, ralentis avec des colombes pour John Woo, scènes de carnaval pour Federico Fellini, fascination pour les pieds pour Quentin Tarantino, travellings et Leonardo DiCaprio pour Martin Scorsese, caméos pour Alfred Hitchcock, François Pignon pour Francis Veber, photographie désaturée et métallique pour Zack Snyder, héroïnes blondes pour Sofia Coppola, atmosphères lugubres et Johnny Depp pour Tim Burton, aventures nostalgiques pour Steven Spielberg, le rouge et la provoc’ pour Gaspar Noé, la violence et crise identitaire chez Jacques Audiard, etc. Bref, il y a autant de cinéastes que de style ou de gimmicks et même s’ils ont souvent une patte reconnaissable, leurs succès vient surtout de leurs facultés à se renouveler.

Et puis il y a l’énigme Matthew Vaughn. De Layer Cake (2004) à Kick-Ass (2010), le réalisateur se fait rapidement remarqué avec des films impactants, avant de signer X-Men : Le Commencement en 2011. Par conséquent, quant ses films se voyaient attribuer une suite et que le réalisateur préférait passer à autre chose, cette dite suite souffrait souvent de la comparaison avec le film initial, même si Kick-Ass 2 et X-Men Days of Future Past n’ont pas déçu. Alors quand Matthew Vaughn a annoncé reprendre la suite de l’excellent Kingsman : Services Secrets (2015), j’étais la première à jubiler… avant de déchanter devant la redite sans âme et sans effort qu’était Kingsman : Le Cercle d’Or (2015). Deux ans plus tard, le réalisateur persiste et signe avec The King’s Man : Première Mission (2021), une préquelle épuisante, à peine sauver par quelques rares scènes efficaces. Car c’est là l’atout majeur du réalisateur : ses scènes d’actions ! De la prise de vue aux effets de styles, Matthew Vaughn a souvent su régaler son audience grâce à des films rythmés, plein d’esbroufe, portés par des affrontements décalés et à la chorégraphie hyper soignée. Résultat, même si des films de plus en plus moyens, Matthew Vaughn parvient souvent à tirer son épingle du jeu en amusant le public face à un blockbuster énergique.

Oui mais voilà, après trois Kingsman, il était peut-être temps de passer à autre chose. Mais que nenni, Matthew Vaughn rempile avec une comédie d’action sur fond d’espionnage, servie avec un casting plus qu’alléchant. Argylle propose l’histoire d’une autrice qui devient la cible de véritables agents secrets qui veulent la tuer, parce que ce qu’elle écrit flirte un peu trop avec la réalité. Cela vous semble familier ? C’est normal si vous avez vu le film Le Secret de la Cité Perdue d’Aaron et Adam Nee (2022) qui, à quelques détails près, proposent des prémices similaires !

Je pourrais largement passer outre cette ressemblance si le film Argylle ne ressemblait pas autant à un condensé de nombreux films plus ou moins récents. De Au Revoir À Jamais de Renny Harlin (1996) à Spider-Man : Homecoming de Jon Watts (2017), en passant par Mr et Mrs Smith de Doug Liman (2005), le nouveau film de Matthew Vaughn manque cruellement d’originalité dans toutes les étapes de son récit capillotracté et ultra-téléphoné. Pire, alors qu’Argylle est typiquement un film de divertissement sensé nous en mettre plein la vue, tous ses efforts tombent à l’eau tant le manque de crédibilité du scénario est visible. Du mystère autour du père invisible jusqu’à une séance de patinage artistique improbable, le film donne l’impression de vouloir rivaliser avec l’ensemble de la franchise Fast and Furious dans la catégorie What The Fuck en proposant des séquences toujours plus foutraques et de moins en moins crédibles.

Argylle ne cesse de jouer avec la demi-teinte : d’un coté, le film est dense, relativement accrocheur grâce à son casting et une mise en scène ultra-dynamique qui détonnent des films d’espionnage plus sérieux (type James Bond ou autre Mission: Impossible). On dirait que la pilule passe, parce qu’on s’amuse et que Matthew Vaughn semble proposer de l’inédit – notamment avec une fameuse scène de dense impromptue. Mais de l’autre côté, Argylle en fait beaucoup, beaucoup trop et, pire que tout, ne fait que pomper du déjà-vu à tous les étages et y compris dans la filmographie du réalisateur. La fameuse scène de danse dont je parle plus haut est calquée sur une des scènes finales du premier film Kingsman, quelques minutes avant que le les personnages rejouent le 1v1 de Captain America versus The Winter Soldier dans le film éponyme ! Matthew Vaughn est tellement fier de ses films qui s’auto-référence en permanence, jusqu’à une scène post-générique qui arbore un certain nom bien en évidence, au cas où on aurait pas compris où il voulait en venir. Trop de ressemblances, pas assez d’originalité, voilà ce qui fait défaut à Argylle… si on passe outre le fait que le pitch de base ne tient plus debout une fois le twist révélé [SPOILER] pourquoi avoir laisser l’héroïne amnésique devenir une autrice célèbre si ses livres révèlent la vérité à tout le monde ? Ça n’a aucun sens ! [/SPOILER] !

C’est bien dommage, car si on met de côté un instant les nombreux défauts du film, la façon donc Argylle navigue entre la réalité et l’imaginaire aurait pu être intéressante, notamment à travers la façon dont l’héroïne se sert de son héros pour surmonter ses faiblesses. Mieux encore, le teasing de la scène bonus semble promettre d’aller plus loin dans le méta, à la manière des films Scream et de ses « Stabs » *wink wink*. Mais malheureusement, Matthew Vaughn cherche tellement à épater la galerie en tripotant son propre nombril qu’il passe à coté du potentiel de son sujet et de ses personnages.

Alors oui, j’entends : le film comporte beaucoup d’humour, d’esbroufe qui fait office d’écran de fumée et quiconque voudrait s’amuser le temps d’une séance peut y trouver son compte… Même si la dernière demi-heure à rallonge est d’une pénibilité à faire peur. Et pourtant, je reste convaincue que peu de monde pourrait expliquer, à l’issue du visionnage d’Argylle, pourquoi les méchants sont méchants et ce qu’ils veulent exactement. À l’opposé, le dernier Mission: Impossible – Dead Reckoning Partie 1 de Christopher McQuarrie est un bon exemple du film d’espionnage qui propose des scènes d’action époustouflantes, relativement crédibles pour la plupart et surtout une intrigue qui, malgré sa complexité et ses détours, restent compréhensible et mémorable. À la sortie d’Argylle, en dehors du vague point commun avec Lucy de Luc Besson [SPOILER] la clé USB 😀 [/SPOILER], j’ai encore du mal à comprendre pourquoi la Division existe et leurs motivations – au-delà de la sempiternelle soif de pouvoir et de contrôle lambda vu et remaché mille fois depuis que le cinéma existe.

Au casting, là aussi, c’est mitigé. Si les acteurs pris à part sont talentueux, disons quel le film ne leur permet pas à tous de briller. Certains sont même là à titre caméo-esques , parce que copains avec le réalisateur ou juste pour cachetonner afin de payer ses impôts, comme Dua Lipa (Barbie…), Sofia Bouteilla (Rebel Moon, Climax…), John Cena (Peacemaker, Freelance…) ou encore Ariana DeBose (Wish, West Side Story…) et Samuel L. Jackson (Secret Invasion, The Marvels…) – même si je l’adore.
En tête d’affiche cependant, Bryce Dallas Howard (Jurassic World – Le Monde d’Après, Rocketman, Peter et Elliott Le Dragon…) tente de porter le film et se met au défi de jouer les action women, mais la sauce ne prend pas toujours. À ses cotés, Sam Rockwell (Les Bad Guys, Jojo Rabbit, Three Billboards : Les Panneaux de la Vengeance…) fait du Sam Rockwell mais, heureusement, il le fait si bien qu’il vole souvent la vedette. Autour d’eux, Bryan Cranston (Your Honor, Asteroid City, Power Rangers…) et Catherine O’Hara (Schitt’s Creek, La Famille Addams…) détonnent en jouant des méchants version (alors ça va paraître un peu méchant, mais non) troisième âge – et c’est drôle qu’ils ont été très connu pour avoir jouer des parents hmmm… particuliers, entre la série Malcom pour l’un ou encore le film culte Maman J’ai Raté l’Avion pour l’autre. À noter tout de même un Henry Cavill (The Witcher, Zack Snyder’s Justice League, Mission: Impossible – Fallout…) – et sa coupe en brosse, comment dire…, discutable – est là pour faire joli, mais même dans ce registre qui devraient pourtant lui être fluide, je l’ai trouvé très raide et peu remarquable. Ceci étant dit, l’acteur prouvera, plus tard dans le film, qu’il y a pire que de voir sa moustache gommée en post-prod.
En conclusion, malgré le talent du réalisateur Matthew Vaughn et un casting alléchant, Argylle peine à briller à cause d’un scénario manquant d’originalité et des scènes rappelant trop d’autres films – y compris ceux du réalisateur qui s’auto-congratule sans aucune gêne. Malgré ses moments divertissants, le film souffre de longueurs et d’un excès d’esbroufe qui s’essouffle de minute en minute, pour finalement régurgiter des redites du cinéma d’action de ces trente dernières années. Bof bof. À tenter.

PS : oui, donc il y a une scène bonus… avec un bon gros clin d’œil à Kingsman. Et Scream (et Stab).
